Ambiance tendue dans les hôpitaux publics où les professeurs en médecine ont décrété trois jours de grève par semaine et le boycott illimité des examens. Le secrétaire général du Syndicat national des professeurs en sciences médicales, Nacer Djidjeli, prévient : aucune réforme ne se fera sans eux. Après le mouvement du mois de janvier, vous voilà à nouveau en grève… Les enseignants chercheurs hospitalo-universitaires ont mis quatre ans pour ficeler un nouveau statut fixant les conditions de recrutement, de progression, les droits et les obligations des professionnels, etc. Tout… sauf notre rémunération, car les pouvoirs publics nous avaient demandé de laisser ce chapitre important pour la fin. Nous avons été assez naïfs pour les croire. Confiants, quel ne fut notre étonnement quand, du jour au lendemain, la télévision, par la voix du secrétaire général de l'UGTA, nous annonçait et en grande pompe la finalisation de la grille des salaires dont nous n'avions pas encore discuté ! C'est cette politique du fait accompli et cette atteinte grave aux libertés et au pluralisme syndical qui ont mobilisé et soudé les syndicats autonomes, du moins au début. En effet, cette cohésion ne dura malheureusement pas longtemps car, début 2009, nos collègues de l'enseignement, pour des raisons diverses, quittèrent notre bateau, et les syndicats autonomes de la santé se retrouvèrent seuls sur les chemins de la protestation. En quelques mois, les syndicats de la santé publique ont aussi trouvé le moyen de se diviser... C'est malheureusement vrai là aussi. Début janvier, ces syndicats, après une longue concertation, avaient décidé de lancer ensemble une grève pour dénoncer cette nouvelle grille des salaires. Nous avions sensibilisé nos confrères et déposé nos preavis de grève, mais grand fut notre étonnement quand nos collègues médecins de la santé publique (qui n'enseignent pas, ndlr) nous ont appelés pour nous annoncer sans aucune concertation préalable leur décision non négociable de geler leur participation à notre mouvement commun. Le conflit de Ghaza était la raison invoquée à cette décision prise la nuit et sans nous. Nous avions alors décidé de continuer seuls, et, pendant quinze jours, nous avons boycotté tous les examens en sciences médicales. Nos autorités de tutelle – ministère de l'Enseignement supérieur et ministère de la Santé – nous ont contactés pour nous expliquer qu'elles ne pouvaient pas satisfaire nos revendications pour le moment et qu'il fallait attendre que tous les statuts soient fixés. Ce que l'ancien chef du gouvernement, Abdelaziz Belkhadem, s'était engagé à faire, dans un décret, avant janvier 2008. Sur cette base, et puisque le statut des professeurs en médecine était prêt, nous ne voyions pas pourquoi attendre davantage. D'autant qu'aucune date butoir n'a été fixée. Pour sortir de cette crise, le ministère de la Santé et celui de l'Enseignement supérieur nous proposèrent une rétribution pour nos activités de soins à l'hôpital. Un avant-projet de décret réglementant cette rétribution, qui, faut-il le signaler, existait déjà dans nos statuts et n'était pas une indemnité, a été discuté et accepté par tous les partenaires du conflit qui consignèrent tout cela dans un procès-verbal. Suite à ces engagements, les assemblées générales décidèrent de geler notre mouvement de grève qui était à son paroxysme d'adhésion et de participation. Ce décret, qui devait être signé selon une procédure d'urgence trois mois après, n'a pas encore vu le jour. Encore une fois, nous apprenons à nos dépens que les engagements des pouvoirs publics avec même un procès-verbal signé n'engageaient que ceux qui ont été assez naïfs pour y croire… Le ministère de la Santé nous annonce (et nous le croyons) que le dossier ne dépendait plus désormais de son département. Tous ces reniements et tergiversations nous ont forcés à notre corps défendant à reprendre notre protestation avec arrêt cyclique des activités de santé trois jours par semaine et boycott illimité des examens en sciences médicales. On peut imaginer qu'en cette période préélectorale, vous pourriez obtenir gain de cause… Nous n'avons rien choisi ; les pouvoirs publics nous ont imposé tout cela. Il ne faut pas oublier que ce conflit dure déjà depuis deux années. Nos autorités avaient sans doute l'arrière-pensée que pendant la période préélectorale, nous n'oserions pas faire grève et qu'elles pouvaient se permettre tous les reniements. Elles se sont trompées. Nos revendications sont purement socioprofessionnelles. Si aujourd'hui se battre pour les libertés et le pluralisme syndical c'est faire de la politique, alors nous disons oui, nous faisons de la politique et nous l'assumons, même si ce ne sera jamais une politique partisane. Nous voulons être aussi une force de proposition, participer à la vie de la cité et apporter notre pierre à la construction de notre pays. De quelle manière êtes-vous tenus à l'écart ? Prenons un exemple : en ce moment, les pouvoirs publics révisent les textes du Code du travail… seuls, ce qui n'est pas normal. Autre exemple : le projet de la carte Chifa (carte à puce) : les professionnels de la santé ne sont même pas au courant. Est-ce normal qu'un projet aussi important soit décidé sans concertation, sans pédagogie, sans explication ? Les reformes, oui le pays en a besoin, mais il faut que les autorités comprennent qu'elles ne peuvent aboutir sans nous. Avant d'en arriver à la grève, nous avons saisi l'ancien chef du gouvernement Abdelaziz Belkhadem pour qu'il nous reçoive, notre demande est restée lettre morte. Nous avons adressé la même requête pour une audience à Ahmed Ouyahia dès son investiture en juillet 2008, même silence. L'élite de ce pays est-elle à ce point insignifiante pour nos gouvernants ? Combien gagne un chef de service dans un hôpital public ? Un chef de service en fin de carrière touche – salaire et indemnités comprises – 120 000 DA. Pour cela, il a traversé le plus long et le plus ardu des cursus universitaires qui soit. Comment voulez-vous garder les hautes compétences dans le secteur public alors que dans l'exercice privé, il gagnerait cinq à dix fois plus sans trop de responsabilités ? Un professeur en Mauritanie gagne deux fois plus et un Marocain quatre fois plus que leurs collègues algériens. Justice est le maître mot dans ce que nous revendiquons avec une société bâtie sur le mérite et la connaissance. Bio express Chef du service de chirurgie pédiatrique au CHU de Belfort (El Harrach, Alger) depuis deux ans, Nacer Djidjeli, 55 ans, a commencé sa carrière à l'hôpital Mustapha. Il est aussi président de la Société algérienne des chirurgiens pédiatres et président de la Fédération maghrébine de chirurgie pédiatrique. Il assume également la fonction de secrétaire général du Syndicat national des professeurs et docents en sciences médicales.