Toutes les trêves sont précaires et la seule chose qui soit réelle ce sont les affrontements et les morts. C'est un face à face dangereux d'autant plus que les Américains, notamment, déclarent s'en préoccuper, faisant même du Pakistan une réelle menace. Et c'est là toute la nouveauté dans l'espace géostratégique régional. C'est vraiment inédit comme raisonnement et parait surprendre nombre d'analystes pour qui la situation au Pakistan est globalement la même depuis des décennies. Pourquoi donc cette inquiétude américaine, et à quoi répond-elle très exactement ? Chose tout aussi inédite, le Pakistan a été l'objet d'une réunion de donateurs, avec au bout du compte des promesses de dons s'élevant à plusieurs milliards de dollars, tout cela pour endiguer une menace. A cela, le chef de l'Etat pakistanais, soupçonné au moins de faiblesse, a pris les devants, lui qui n'a jamais cessé d'affirmer que son pays s'opposera à la mainmise des talibans. Ce qui explique alors l'offensive des troupes gouvernementales lancée cette semaine contre les talibans de Swat, dans le nord-ouest du Pakistan, et qui lui a permis, hier, de reprendre une ville-clé. Une victoire chaudement saluée par Washington qui reprochait à Islamabad d'« abdiquer » face à ces islamistes liés à Al Qaïda. L'armée avait lancé, mardi, une vaste contre-attaque à Buner, à une centaine de kilomètres seulement d'Islamabad, dont les talibans du district voisin de Swat s'étaient emparés la semaine dernière en profitant d'un accord de cessez-le-feu qualifié d'« abdication » par Washington. Ce ne sont plus quelques soldats envoyés pour la forme, mais l'armée pakistanaise a tout simplement déployé les grands moyens avec notamment des troupes héliportées qui ont réussi à sécuriser Dagar, chef-lieu du district de Buner, et ses environs. Dagar compte quelque 25 000 habitants. Avec une première contre-attaque, dimanche, dans le district voisin du Lower Dir, l'armée s'est donc engagée cette semaine dans une offensive sur plusieurs fronts pour repousser les talibans de la vallée de Swat, et ce, pour la première fois depuis la signature mi-février de l'accord très controversé au terme duquel les talibans cessaient le feu en échange de l'instauration de tribunaux islamiques dans la région de Malakand qui comprend notamment Swat, Buner et le Lower Dir. Mardi dernier, les Etats-Unis, dont Islamabad est l'allié-clé dans leur « guerre contre le terrorisme », se sont réjouis de l'offensive de Buner et Lower Dir. La chute de Buner aux mains des talibans avait réveillé une opinion publique jusque alors apathique, qui avait alors dénoncé la « capitulation » du gouvernement et de l'armée. Elle avait aussi provoqué les foudres de Washington. Grâce au soutien des talibans pakistanais, Al Qaïda a reconstitué depuis plusieurs années ses forces dans les zones tribales du nord-ouest du Pakistan, frontalières avec l'Afghanistan, et les talibans afghans leurs bases arrières. Mais les talibans pakistanais avaient progressé ensuite hors des zones tribales en s'emparant, à l'été 2007, de la vallée de Swat, jusqu'alors le site le plus touristique du pays. L'armée avait tenté en vain de les en déloger. Mi-février, face aux exactions commises à Swat par les combattants islamistes qui décapitaient le moindre opposant et détruisaient les écoles accueillant des filles, le gouvernement provincial avait signé l'accord de cessez-le-feu en échange des tribunaux islamiques. Depuis, loin de déposer les armes comme le leur imposait l'accord, les talibans avaient profité du retrait de l'armée pour pousser leur avantage sur le terrain au-delà de Swat, jusqu'à Buner. La secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, avait accusé Islamabad d'« abdiquer » et s'était émue de l'« avancée » de ces talibans, « une menace mortelle » pour le Pakistan et, par voie de conséquence, pour le monde. « Les opérations militaires en cours dans les districts de Buner et de Dir sont une réponse parfaitement adéquate aux offensives des talibans ces dernières semaines », a jugé mardi le porte-parole du Pentagone, Geoff Morrell. Quant aux talibans, ils assurent « résister » à l'armée. Mardi, l'armée avait annoncé avoir définitivement repris le Lower Dir aux talibans, tuant plus de 70 d'entre eux. Mais ces premiers combats ont déjà provoqué, dans ce district, l'exode massif de la population, au moins 30 000 personnes, selon le gouvernement de la province. Voilà donc en ce qui concerne les faits des dernières quarante-huit heures. Car dans le fond qu'en est-il très exactement ? Il est très difficile de croire que l'offensive gouvernementale est un simple sursaut d'orgueil et qu'elle intervient après les accusations américaines et que par conséquent le pouvoir n'a pas fait preuve de faiblesse. Il a déjà assuré – sinon rassuré – que l'arme nucléaire était en sécurité. Mais dans le même temps, il a lancé la balle dans le camp de la communauté internationale, plus précisément les pays qui attendent beaucoup du Pakistan. Ceux-ci ont été appelés à faire preuve de bon sens, c'est dire se montrer généreux à son égard, en l'aidant à mettre fin à son sous-développement. Pour lui la corrélation est évidente.