Un concert de jazz à minuit dans un bar de New York ne semble pas l'endroit idéal pour élaborer la politique étrangère américaine... jusqu'à ce que l'on regarde les musiciens de plus près. Les « ambassadeurs du jazz » sont une armée hétéroclite de trompettistes, pianistes, batteurs et autres bassistes recrutés par Washington pour conquérir les cœurs dans les endroits de la planète les plus sceptiques à l'encontre des Etats-Unis. Cette semaine à Manhattan, ils célébraient la fin de leur dernière tournée, « Rhythm Road », un programme mis au point conjointement par le département de jazz du Lincoln Center et le département d'Etat. Leurs itinéraires les ont menés dans des pays comme le Bélarus ou la Birmanie, ou au Proche-Orient. Le quar-tette du saxophoniste Chris Byars a notamment joué en Syrie, ainsi qu'à Bahrein et dans d'autres pays musulmans conservateurs. Il raconte être arrivé à Oman et s'être dit : « Oh, ces gens n'ont sans doute jamais entendu parler de jazz. » La tournée Rhythm Road a commencé en 2005, mais dérive d'un programme qui remonte à la guerre froide et avait déjà exporté des légendes du jazz, dont Dizzie Gillespie, Benny Goodman, Louis Armstrong et Duke Ellington, pour combattre l'influence culturelle soviétique. Le programme est un succès, et les candidatures affluent, en hausse de 30% pour la saison 2010. Les participants soulignent que le jazz n'est pas seulement un art typiquement américain, mais que cette musique sied particulièrement à la diplomatie. Les orchestres comprennent trois ou quatre musiciens sans partition qui réussissent, en négociant et en coopérant, à produire un son extraordinaire. « Il s'agit d'implication et d'écoute, et l'improvisation et la coordination sont une illustration parfaite de la démocratie et du dialogue », estime Susan John, directrice des tournées jazz au Lincoln Center. Ryan Cohan, dont le quartet a parcouru le Bélarus, la Russie et l'Ukraine cette année, assure que des salles potentiellement hostiles aux Etats-Unis sont enthousiastes. « Les gens sentent cette envie des Américains de communiquer, ces Américains qui sont censés se croire les maîtres du monde, ils voient cette humilité », estime Cohan, 38 ans. « Cela leur donne une vision différente de l'Amérique », ajoute-t-il. Tous ne jouent pas du jazz. Liz Chibucos, 23 ans, s'est rendue en Birmanie avec Student Loan, un groupe de musique country. « Nous leur avons dit que nous leur apportions notre culture et que nous voulions apprendre la leur », dit-elle, « c'est beaucoup plus efficace que n'importe quelle guerre ». Les musiciens reconnaissent que certains peuvent y voir une part de propagande, mais affirment que la gêne disparaît dès qu'ils se mettent à jouer. « Plus vite je me mets à mon instrument, plus les gens sont heureux », dit Chris Byars, 38 ans. Il raconte qu'à Oman, lors d'un concert où l'atmosphère était plutôt tendue, la lumière fut brusquement coupée. Le public se détendit alors à la faveur de l'obscurité, et les spectateurs se mirent à danser en agitant leurs téléphones portables, raconte-t-il. « C'était comme dans un club de jazz, et avec toutes ces lumières des téléphones portables, l'atmosphère était magique, incroyable », dit-il.