Depuis lundi dernier, jour de l'assassinat à Beyrouth de l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri, les pressions aussi bien sur le Liban que sur la Syrie, n'ont cessé de s'accroître. Le premier pour prendre distance de son voisin, tandis que le second était à en faire autant avec toutes les formes d'opposition à un éventuel processus de paix au Proche-Orient. Mais depuis mercredi, date des funérailles du défunt, les données ont fondamentalement changé, notamment pour le gouvernement libanais. Le choix de la famille Hariri pour des funérailles populaires s'est avéré juste en ce sens que près d'un demi-million de Libanais y ont pris part, mais à ce chiffre il faut apporter la précision selon laquelle toutes les communautés libanaises étaient présentes. Conséquence attendue, les appels à une enquête internationale sur l'assassinat de Rafic Hariri s'amplifient, ce qui a amené le gouvernement libanais à accepter mercredi l'aide d'experts venus de Suisse, un pays neutre. Le premier juge d'instruction du Tribunal militaire de Beyrouth, Rachid Mezher, a en effet décidé de charger la brigade criminelle de recourir aux services d'experts suisses spécialisés dans le domaine des matières explosives et dans les analyses d'ADN. L'aide de la Suisse a été évoquée jeudi dans un entretien entre le président libanais Emile Lahoud et l'ambassadeur de Suisse à Beyrouth, Thomas Litscher, a annoncé la télévision officielle. Le ministre de l'Intérieur, Soleiman Frangié, avait rejeté mardi une enquête internationale, soulignant que le Liban serait prêt à demander l'assistance d'experts étrangers, à condition qu'ils soient originaires de pays neutres. Il a affirmé jeudi que « l'enquête se poursuit à un rythme intense » et a redit son refus du principe d'une enquête internationale, proposée notamment par Paris et le haut représentant de l'Union européenne pour la politique extérieure, Javier Solana. Jacques Chirac avait été le premier à demander lundi qu'« une enquête internationale soit conduite sans délai pour déterminer les circonstances et les responsabilités de cette tragédie, avant d'en punir les coupables ». « Les Etats-Unis, et avec eux l'ensemble de la communauté internationale, soulignent l'importance d'une enquête sérieuse et crédible qui mènera les meurtriers devant la justice, et les Etats-Unis sont prêts à y apporter leur aide », a, pour sa part, déclaré mercredi à Beyrouth, le secrétaire d'Etat adjoint américain pour le Proche-Orient, William Burns. Des pays arabes, amis du Liban et soucieux de son image, ont tenu des propos assez proches. Le chef de la diplomatie saoudienne Saoud Al Fayçal a conseillé au Liban de conclure rapidement l'enquête afin de pouvoir « garantir son indépendance ». L'opposition libanaise, opposée à la présence syrienne, a soutenu l'appel pour une enquête internationale, que Damas a affirmé de son côté ne pas craindre. Quant à la justice libanaise, elle est à la recherche de six suspects ayant quitté le Liban pour l'Australie quelques heures après l'attentat, a indiqué hier le ministre de la Justice, Adnane Addoum. M. Addoum n'a pas précisé l'identité de ces suspects mais a indiqué que « ces personnes avaient des liens avec des cercles intégristes. Je ne peux pas en dire plus pour les besoins de l'enquête », a-t-il ajouté. Un groupe jusque-là inconnu, « An-Nosra wal Jihad fi Bilad el-Cham » (La victoire et le jihad en grande Syrie), avait revendiqué lundi soir l'attentat dans une vidéo diffusée par Al Jazeera, sans pour autant donner de preuve tangible attestant de sa véracité. Rien ne semble suffisant pour mettre un terme aux pressions internationales. La ministre française de la Défense a estimé, jeudi, que le Liban devait « retrouver toute sa souveraineté, toute sa souveraineté, dans l'ensemble de ses manifestations », dans une allusion à l'hégémonie syrienne sur le Liban. Quant aux Etats-Unis, ils ne cessent de faire monter la pression sur les Syriens afin d'obtenir la fin de leur tutelle sur le Liban. Intervenant jeudi, interrogé pour savoir s'il pensait que la Syrie était responsable de l'attentat, le président américain s'est montré prudent. « Nous soutenons l'enquête internationale qui va déterminer qui sont les meurtriers », a-t-il dit. Toutes ces pressions se nourissent d'une situation qu'elles ne doivent pas occulter. Il y a, à cet égard, un devoir de vérité réclamé par les Libanais avant tout. L'histoire récente de leur pays a été marquée par de nombreux assassinats politiques, jamais élucidés.