Je l'aimais bien Michel Onfray, nouveau philosophe aux pensées fraîches, au visage avenant, façon « une fleur à la bouche » et créateur d'une université populaire. Il a apporté un espoir, avec quelques autres, dans le gotha de la philosophie, notamment en France où, après le départ des grands, elle croupissait généralement dans les ronronnements ou le show. On savait la télévision, temple absolu de l'instantané, corrosive pour la pensée qui envisage le monde avec recul, profondeur et indépendance. On la découvre hallucinogène. Ce cher Onfray s'est-il laissé prendre aux vapeurs de l'étoile montante exposée aux sunlights ? En tout cas, sa sortie, vendredi dernier sur France 2, lors du débat intitulé « Sartre/Camus, on refait le match », (presqu'une finale rétroactive de boxe, en l'absence des protagonistes), avait de quoi laisser pantois. Evidemment, quand on parle de ces deux-là, on ne peut évacuer la guerre d'Algérie. Sartre, animateur du Manifeste des 121, pourfendeur des injustices et de la répression, clairement engagé pour l'indépendance. Camus, mémorable dans ses reportages dénonciateurs de la misère du peuple algérien, avant de s'enfermer dans une position qui restera ambiguë en dépit de la grandeur de l'écrivain. Bien que divergents, ils avaient en commun ce que personne ne peut leur nier : la difficulté, sinon la douleur, à se positionner en tant qu'intellectuels français, dans un conflit aussi dur qui engageait leur pays. Mais voilà, en direct, ce cher Onfray, grisé par la folle fascination du jugement de l'histoire après coup, qui tient à peu près ce langage : « La guerre d'Algérie a donné raison à Sartre ; mais ce qu'est devenue l'Algérie donne raison à Camus ».Verdict aberrant. Comment un esprit aussi brillant peut-il se commettre dans un tel raccourci de pensée ? Si Sartre avait raison, c'est que le principe de l'autodétermination du peuple algérien était juste et fondé. Si Camus a raison pour ce qu'il advint par la suite, comment Sartre peut-il encore avoir raison ? Mais Onfray n'aime pas les syllogismes. Y aurait-il une loi d'amélioration inéluctable de l'histoire ? J'ai dû rater un cours à la fac. Ou on l'aurait découverte après mes études. Est-ce que le mauvais usage de l'indépendance par les Algériens, qui les concerne au premier chef, pourrait invalider la légitimité de leur aspiration à cette indépendance ? Viendrait-il à Onfray l'idée de donner raison aux Lumières et à la Révolution de 1789 pour aussitôt la leur retirer, au prétexte que, par la suite, il y eut tant de troubles, de massacres et de revirements dont le peuple français, jusqu'à la commune et au-delà, fit les frais, lui qui avait porté ce changement ? C'est à croire que lorsqu'il est question de l'Algérie, l'intelligence prend congé pour laisser place à… quoi, je vous le demande ?