La cour d'Alger est en ébullition depuis une semaine. Des dizaines d'avocats ont pris part à un rassemblement à l'entrée de cette juridiction pour dénoncer ce qu'ils ont qualifié de «graves dérives» dont a été victime l'un des leurs, jeudi dernier. Ce dernier aurait été sermonné par un policier qui exigeait de lui de porter la robe ou de quitter la salle d'audience. L'incident aurait pu être clos à ce niveau, malheureusement, quelques minutes plus tard, l'avocat a été interpellé dans le hall de la cour pour être embarqué par des policiers. La scène a suscité la colère des avocats présents, venus s'interposer entre leur confrère et les policiers. Les événements auraient pu dégénérer si ce n'était l'intervention du bâtonnier, Me Abdelmadjid Sellini, qui a mis fin à l'altercation brutale entre les policiers et les avocats. Depuis, la situation est devenue électrique et les «excuses» du chef de la sûreté de la wilaya d'Alger n'ont servi à rien. Se déclarant en session ouverte, le conseil de l'Ordre, à sa tête le bâtonnier, a pris l'affaire en main, après qu'elle ait fait tache d'huile. Pour les avocats, «il n'est plus question de tolérer des dérives aussi graves». Des mesures de protestation sont étudiées et, déjà, l'idée d'un boycott des tribunaux fait son chemin, avant d'être mise en veille. Hier, il n'était plus question de «compromettre le travail de la justice en désertant les audiences, mais plutôt de faire entendre la colère des avocats contre ce qu'ils subissent comme humiliations et comportements indignes», explique Me Sellini. La décision est favorisée par les réunions entre les membres du conseil, le procureur général et le président de la cour d'Alger. Mardi dernier, l'appel à un sit-in de protestation devant la cour d'Alger a été lancé par le bâtonnat. Dans son communiqué, le conseil de l'Ordre a rappelé les «engagements» des uns et des autres «à faire en sorte que de tels dérapages n'aient plus lieu, que les auteurs soient sanctionnés, que des mesures allant dans le sens de la protection de l'immunité de la profession d'avocat soient prises». Il a exhorté l'ensemble des avocats à se joindre au rassemblement de protestation de deux heures, en attendant la tenue d'autres réunions avec le procureur général et le président de la cour, prévues en fin de matinée. Hier matin, ils étaient nombreux à prendre part à ce rassemblement. «Nous sommes là pour dire non à ces graves dérapages, au recours à la violence contre un avocat dans l'enceinte même du tribunal et aux atteintes à la corporation. Ce qui s'est passé est unique dans l'histoire de la justice algérienne. Nous aurions boycotté les audiences en signe de protestation, mais les responsables de la Sûreté nationale se sont excusés après avoir reconnu la faute commise par leurs agents, qu'ils ont d'ailleurs sanctionnés. Nous avons aussi attiré l'attention de la cour d'Alger sur la nécessité de protéger la profession de ces dérives. Mais la confrontation n'est pas le meilleur moyen pour obtenir des résultats. Nous avons donc décidé d'un rassemblement, parce que nous privilégions la voie du dialogue. La réunion du conseil reste ouverte, en attendant les résultats des entrevues avec les responsables», a déclaré Me Sellini à l'assistance nombreuse. Ses propos sont chahutés par les deux filles de Me Amara, un avocat qui avait été placé en détention pour une violente altercation avec le bâtonnier. Les deux jeunes filles n'y vont pas avec le dos de la cuillère ; durant toute la manifestation, elles dénoncent avec virulence le «silence» des robes noires sur l'affaire de leur père. Pour Me Chaïb, membre du conseil, «il y a un vrai problème relationnel, de communication et d'information qui fait que l'on se retrouve confrontés à des entraves et obstacles à l'exercice de la profession. L'affaire de jeudi dernier n'est que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Il n'est dit nulle part dans les lois que l'avocat doit porter sa robe dans un tribunal et il n'est pas du ressort d'un policier de l'interpeller sur le port de cette robe. Les policiers qui travaillent dans les tribunaux doivent être informés de leurs prérogatives. J'estime qu'il y a une volonté de porter atteinte à l'indépendance de la profession d'avocat dont le nouveau statut, faut-il le préciser, assure une protection indéniable». En fin de matinée, les membres du conseil ont été reçus par le procureur général et le président de la cour. Les membres du conseil, à leur tête le bâtonnier, ont fait part de leur satisfaction du débat entre les parties. «Ils nous ont promis que ces dérives ne seront plus tolérées et qu'à l'avenir toutes les mesures allant dans le sens de l'amélioration de l'exercice de la profession d'avocat seront prises, en concertation avec les avocats. Des promesses qui nous ont permis de sortir optimistes et satisfaits», a déclaré Me Sellini.