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Aziz Nafa .Economiste, chercheur au CREAD : «Le plan de relance devrait émaner des préoccupations locales et régionales»
Publié dans El Watan le 13 - 07 - 2020

-Le gouvernement se penche actuellement sur l'élaboration d'un plan de relance socio-économique. Qu'en pensez-vous ?
Plus que jamais, l'Algérie a besoin de se doter d'une véritable feuille de route pour la relance et le développement économique et social, non pas sur le court ou moyen termes, mais sur des visions de long terme. Une initiative louable, mais la démarche pour que sa mise en œuvre reste à déterminer, nous n'avons pas plus de détails à ce sujet ! L'Algérie est loin du modèle d'économie de la connaissance basée sur l'entrepreneuriat innovant. Comme de nombreux pays de la région, son économie dépend de l'exploitation des hydrocarbures, qui représentent la moitié du PIB et 97% des exportations. Cette situation la rend particulièrement vulnérable aux fluctuations du cours de pétrole, comme nous le constatons depuis 2016, aggravée depuis l'avènement de la crise sanitaire, ce qui impact et ralentit, le développement des autres secteurs. La diversification de l'économie constitue ainsi le principal défi pour générer de nouveaux relais de croissance et de faire face à une demande interne de plus en plus forte.
Compte tenu des caractéristiques de l'environnement économique, social, technologique et politique, il est devenu urgent de se pencher sérieusement à mettre en œuvre un plan d'action stratégique pour mettre sur les rails notre économie et les aspirations de la société, et ce, à partir de l'intelligence collective. L'Algérie est un vaste territoire composé de différentes régions, complètement distinctes à tous les niveaux (culturel, économique, social, etc.), ce qui fait sa richesse ! Il est à ce titre primordial de prendre en compte cette réalité et d'associer les forces vives (compétences, organisations patronales, directions de wilayas, maires, etc) dans la construction de la stabilité de l'Algérie de demain. En d'autres termes, un diagnostic des forces et des faiblesses de chaque carré du territoire national pour bâtir une stratégie sur des bases réelles et dont les résultats seraient attendus et palpables. Un plan, une vision, un modèle, quelle que soit son appellation, sera un signal fort, annonciateur de changements pertinents pour les acteurs économiques (entreprises, citoyens, institutions, etc.) qui devrait réhabiliter la confiance au sein de la société, condition ultime pour l'adhésion collective au changement !
-N'y a-t-il pas d'abord lieu de faire une évaluation exhaustive de ce qui a été fait jusque-là ?
Tout à fait ! Comme susmentionné, cette stratégie de développement économique et social devrait être le fruit d'une démarche rigoureuse d'analyse et de consultation des acteurs individuels et institutionnels, acteurs de développement économique et social au niveau local et régional, en prenant acte des travaux qui ont été réalisés jusque-là. D'excellentes réflexions ont été développées par certains Think-tank tels que CARE – Cercle d'Action et de Réflexion autour de l'Entreprise – dont la dernière en date intitulée «Plaidoyer pour la sauvegarde de l'entreprise algérienne», NABNI, le Centre de recherche CREAD, et d'autres travaux scientifiques des universitaires et experts. Cette approche nous permet, en effet, d'évaluer les forces, les faiblesses ainsi que les opportunités économiques qui s'offrent à chaque région et, par ricochet, à l'Algérie. Elle permettra de tracer ainsi les principales orientations structurelles afin de lever nos insuffisances et de consolider les atouts et les avantages dont nous disposons comme force économique, notamment dans l'agriculture et les secteurs d'avenir et d'en faire une référence pour un développement social et économique innovant, inclusif et durable.
Nous ne pouvons être forts que sur des choses que nous maîtrisons. Il est primordial d'identifier nos forces et les avantages sur lesquels l'Algérie de demain pourra se positionner et se différencier au reste du monde. Lorsqu'on évoque la Tunisie, le Maroc, la Grèce ou Malte, on pense au tourisme ; l'Inde, la Corée du Sud ou Singapour, on pense aux TIC, lorsqu'on évoque l'Algérie ou certain pays du Golf, le pétrole et le gaz sont les produits qui les caractérisent ! Dommage, alors que nous avons énormément de potentiel sous, mal ou non exploité !
En plus d'un travail exhaustif des réalisations, il est important de procéder aux consultations et au dialogue continu avec le milieu économique afin d'alimenter les plans d'action et de renforcer les collaborations entre les secteurs privé et public et aller plus vers l'intersectorialité qui constitue un véritable verrou pour les projets de développement.
-Comment se présentent les conditions pour la mise en œuvre de ce plan sachant que, pour l'heure, l'endettement extérieur est écarté alors que la crise sanitaire a aggravé la situation ?
Excellente question ! En effet, le contexte actuel est préoccupant avec des ressources qui se raréfient et une crise sanitaire qui sévit, le gouvernement se doit d'être ingénieux, innovant, efficient et réactif. L'équation n'est pas aisée ! Les finances publiques se détériorent de jour en jour, le secteur économique public et privé en détresse et une situation social explosive ! Dans le contexte actuel, avec tous les signaux qui sont au rouge, le gouvernement doit faire preuve de leadership et de bonne gouvernance. La croissance économique, en Algérie a toujours été tirée par la demande publique dans divers secteurs, travaux publics, bâtiment, infrastructures, etc., financée pour l'essentiel par la rente pétrolière, rien n'a été fait, malheureusement, pour diversifier la création de richesses et d'anticiper les turbulences et les crises qui pourraient surgir, suite à l'effondrement des prix du baril de pétrole.
La question qui se pose : comment ralentir la décroissance et stabiliser l'économie pour espérer stimuler la croissance dans un contexte aggravé par une crise politique et sociale ? Pas aisé d'y répondre ! Nous sommes face à une réalité qui nécessite la mobilisation et l'adhésion de tous les Algériens pour la reconstruction de notre économie et notre société sur des bases solides et pérennes. Nos différents territoires recèlent d'énorme richesses locales et de savoir-faire qui ne demandent qu'à être gérés, reconnus et exploités comme il se doit et une diaspora de près de 7 millions répartie sur la planète qui ne demande qu'à être reconnue et serait d'un grand apport pour le développement socioéconomique de l'Algérie, un potentiel non négligeable qui permettrait aux pouvoirs publics d'amorcer les premiers jalons de la relance économique. Néanmoins, le noyau fédérateur est la «confiance», comme je l'ai souligné à plusieurs reprises, depuis plusieurs années. La confiance entre les différents acteurs économiques (gouvernants et gouvernés, les institutions et citoyens, entreprises et les clients, etc.) doit être scellée et forte pour que l'adhésion au même objectif soit possible et facile à réaliser. Il est nécessaire aujourd'hui d'avoir des signaux positifs très forts concernant les choix et les orientations politiques et socioéconomiques du gouvernement afin de réhabiliter la confiance et travailler à développer, avec le concours des autres acteurs, un plan de développement économique et social.
-La relance socioéconomique passe par la promotion de l'investissement et la création d'emplois. Or, les entreprises sont aujourd'hui en difficultés. Quelles solutions à préconiser dans ce cadre ?
Le climat des affaires en Algérie est l'un des plus complexes au monde, c'est une réalité qui plombe, depuis l'indépendance, l'émersion et la croissance de notre économie. L'emploi est caractérisé par la domination du recrutement par le secteur privé, dépassant les 60% des emplois créés. Ce secteur a remplacé partiellement le secteur public depuis 20 ans. Malheureusement, avec la crise économique qui sévit depuis 2015, aggravée depuis la crise sanitaire, beaucoup d'entreprises privées ont déposé le bilan, aggravant ainsi le taux de chômage. L'entrepreneuriat est considéré comme un instrument-clé permettant d'améliorer la compétitivité, de favoriser la croissance économique et d'accroître la dynamique des territoires. Une réalité qui trouve son aisance dans un écosystème propice à l'émersion des projets innovants par la proximité d'un ensemble d'éléments qui stimule et favorise la création et la croissance d'entreprise. Le gouvernement a pour mission de développer un écosystème favorable, en mettant en place des politiques incitatives, d'aide et d'accompagnements, destinés aux chefs d'entreprise(s) et aux porteurs de projets afin de stimuler l'investissement et l'entrepreneuriat.
Nous pouvons les décliner en un ensemble de mesures spécifiques (aides financières, exonérations fiscales, etc.), d'implantation de nouvelles structures et organismes d'accompagnement (pépinières d'entreprises, facilitateurs, incubateurs, d'excellence, etc.) et de la participation des collectivités locales. Cette stratégie nécessite d'être accompagnée par le savoir, le talent et la performance du réseau et de l'écosystème. Comme nous le savons tous, la bureaucratie est également un fléau qui doit être définitivement écartée pour encourager l'investissement et espérer drainer les entrepreneurs de la diaspora et les IDE (Investissement direct étranger). Une réalité plausible qui permettrait de créer de l'emploi et pouvoir ainsi absorber les + 360 000 nouveaux diplômés qui quittent les universités chaque année.
-Ne devrait-on pas d'abord commencer par un dispositif de gestion de crise surtout que les mesures annoncées jusque-là ne répondent pas aux attentes du monde économique ?
Tout à fait d'accord ! Comme précédemment cité, il est nécessaire de créer des groupes de travail entre le gouvernement et les différents secteurs socioéconomiques du pays. Il serait idéal d'organiser des conférences régionales pour s'enquérir de la situation socioéconomique au niveau local et régional, puis une conférence nationale qui fera une synthèse des diagnostics et des doléances régionaux, afin de pouvoir tracer des orientations stratégiques structurelles et des actions à mettre en œuvre au niveau local, régional et puis national.
Ce travail permet d'identifier les richesses et facteurs-clé de succès dont disposent les différentes régions, à partir desquels, le gouvernement pourrait se pencher pour dégager les produits, les activités ou les secteurs à soutenir et à accompagner pour en faire les champions de demain et l'avantage comparatif de l'Algérie, par -rapport au reste du monde. Il permet également d'entrevoir les secteurs à délaisser qui ne sans plus ou pas compétitifs et rentables.
Néanmoins, il faudra prendre le temps et les compétences nécessaires pour la réalisation optimale des objectifs et la réussite du prochain plan de développement socioéconomique de l'Algérie.


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