Le cinquième jour du procès de l'ex-wali d'Oran, Bachir Frik, au tribunal criminel d'Alger, a été marqué hier par la lecture de l'expertise ayant évalué le préjudice causé au Trésor public, et dont certains chiffres ont été contestés par des avocats, notamment ceux de Frik. L'expert a retenu, à la demande du tribunal, huit dossiers liés au foncier, aux logements sociaux et aux locaux commerciaux, dont il a été question durant les auditions des accusés. Ainsi, le terrain situé à Haï El Moudjahidine, qui devait initialement servir à la construction d'une salle polyvalente et de logements, a été, selon l'expert, qui se fonde sur les documents officiels, morcelé en 1995 pour céder 1082 m2 au profit de Serradj Abdelwahab au prix de 600 000 DA, qu'il a par la suite revendu à 2,7 millions de dinars. Le préjudice a été évalué à près de 10,2 millions de dinars. L'assiette foncière de 2052 m2, située à Ibn Rochd et affectée initialement à la direction des Postes et Télécommunications pour la construction d'une école et de logements d'astreinte, a été cédée à un privé pour la réalisation d'une clinique et d'un garage sur arrêté du wali. L'Agence foncière a acheté la parcelle pour 3 millions de dinars et l'a revendue à Serradj Ould Ali et Djoudi Ali à 3,6 millions de dinars. L'expert a affirmé que l'Agence foncière a finalement fait 600 000 DA de gain. A la suite de cette transaction, il y a eu un arrêté de morcellement du terrain délivré par l'APC. Là aussi, les acquéreurs ont fini par vendre les biens. Le préjudice a été estimé à 5,13 millions de dinars. FONCIER DÉTOURNÉ Rappelons toutefois que la chambre administrative a annulé non seulement la vente du terrain, mais aussi son transfert des Domaines vers l'Agence foncière. Il fait remarquer qu'il est difficile de récupérer aujourd'hui ces assiettes du fait de l'existence de constructions illicites qui ont été érigées et qu'il sera question de dédommager la direction des Postes et Télécommunications. A propos du terrain de 13 100 m2, situé à Seddikia et affecté à Boudina Saâdi pour la réalisation d'un complexe touristique, l'expert a signalé que cet acquéreur s'est engagé à entamer les travaux dans les six mois qui ont suivi l'affectation. Néanmoins, a-t-il ajouté, le terrain a changé de destination, causant un préjudice évalué à 49,49 millions de dinars. Au sujet de la parcelle de 82 m2 située à El Athmania et cédée à Khelifa Ouared, l'expert a indiqué qu'elle a été détournée de sa vocation puisqu'elle devait servir à la construction d'un centre commercial. Le bénéficiaire, qui l'a achetée pour 210 000 DA, l'a revendue quelque temps plus tard à 2,5 millions de dinars. Le préjudice a été estimé à 4,69 millions de dinars. Pour ce qui est du terrain de 752 m2 situé à Haï Salem et affecté, sur arrêté du wali, à son épouse Chlihi Fatma-Zohra, l'expert a noté qu'il a été revendu au prix de 1,6 million de dinars, causant un préjudice de 6 millions de dinars. A Haï Fellaoucène, l'expert a noté que les Domaines ont signé un acte de cession de 9 ha au profit de l'Agence foncière au prix de 57,12 millions de dinars. L'agence a cédé 2652 m2 au profit de la Sarl Riadh Nour au prix de 350 000 DA pour la construction d'un complexe hôtelier. Ce terrain a été vendu, causant un préjudice de 79,53 millions de dinars. A Haï El Badr, Athmania, une assiette de 7731 m2 a été achetée par l'Agence foncière pour 15 millions de dinars afin de réaliser un ensemble de logements. Sa destination a été changée puisque l'assiette a été morcelée en 29 lots de terrain. Une partie a été vendue à Bensalem Fatiha, épouse Laoufi (directeur de l'agence), qui l'a revendue à M. Abida au prix de 600 000 DA. L'expert a affirmé ne pas pouvoir estimer le montant du préjudice pour les 29 lots. Le terrain agricole de Miserghine, d'une superficie de 17 ha, appartenant à un privé et acheté auprès des Domaines par l'agence, au prix de 120 millions de dinars, pour la construction de logements, a été morcelé en 217 lots de terrain sur une partie de 10 300 m2. Le préjudice a été estimé à 36,94 millions de dinars. Concernant les bénéficiaires de logements sociaux, l'expert a fait remarquer que neuf bénéficiaires sur la liste donnée avaient des logements et ne remplissaient donc pas les critères d'attribution. A propos des locaux commerciaux, l'expert a affirmé que Mme Chelihi Fatma-Zohra a bénéficié de trois biens jumelés avec un bail de 5000 DA, en attendant la vente. RIPOSTE DES AVOCATS Le deuxième local est celui affecté à Malti Ahmed, d'une superficie de 53 m2, au prix de 700 000 DA, qui a été revendu, comme d'ailleurs celui de Mme Chelihi. La présidente du tribunal demande alors le montant global du préjudice causé après toutes ces transactions. L'expert se retire pour faire ses calculs. Il revient plus de deux heures après. Et les chiffres qu'il donne au tribunal provoquent la colère des avocats. « D'où a-t-il ramené ce nouveau montant de 25 millions de dinars à Ibn Rochd, alors que dans le récapitulatif, il a avancé le montant de 5 millions de dinars ? C'est une honte », lance l'avocat de Bachir Frik. D'autres confrères abondent dans le même sens, déstabilisant complètement l'expert. La présidente remet de l'ordre, en précisant que le tribunal ne retient que ce qui est indiqué dans le récapitulatif, c'est-à-dire 5 millions de dinars, et à titre indicatif. L'expert reprend ses chiffres et revient en s'excusant pour « les erreurs de frappe ». Il donne le montant global du préjudice : 195,977 millions de dinars. Les questions des avocats, non contents des chiffres avancés, perturbent l'expert, surtout lorsqu'elles concernent ses honoraires qui, faut-il le préciser, dépassent les 4,5 millions de dinars, dont 900 000 DA uniquement pour le transport et la restauration, selon, bien sûr, le devis joint au rapport d'expertise. L'expert persiste à refuser toutes les questions liées au déroulement de son enquête et au fait qu'« il fasse appel à d'autres collaborateurs et (qu')il soit pris en charge par la wilaya ». La partie civile, représentée par le directeur de la réglementation et du contentieux de la wilaya d'Oran, Ameur Ali, donne un éclairage sur le fonctionnement de la wilaya, mais aussi sur les règles qui régissent les arrêtés et les décisions liés à la gestion du foncier, de l'immobilier et des biens de l'Etat. Il revient sur les circonstances de l'ouverture d'une enquête, quatre ans après le départ de Frik d'Oran, en disant que c'est à la suite « des lettres de dénonciation, de la pression sur le foncier et des plaintes de notables ». Le wali Kouadri, dit-il, a déposé plainte auprès de la police. « J'ai été au commissariat où le principal m'a montré les documents et ce que l'enquête a révélé. » Un des avocats de Frik demande à la présidente de prendre acte du fait que Ameur Ali a eu accès aux documents de la police. A propos des affectations des terrains, Ameur Ali met tout sur « l'absence de contrôle » au niveau de toutes les structures, notamment « l'urbanisme et les services des Domaines ». Il répond au sujet de l'affectation du terrain des Postes et Télécommunications que le dossier « est arrivé des Domaines sans cette précision », en reconnaissant que « l'enquête n'était pas sérieuse ». Il affirme que pour les autres affectations, il y a eu « des erreurs » sur l'affectation et la destination, en notant que « cela n'a pas été fait à bon escient ». Ensuite Ameur Ali, qui, faut-il le préciser, n'a pu expliquer pourquoi l'enquête touche uniquement le mandat de Frik et non pas tout l'exercice de 1994 à 2001, date du dépôt de plainte, se contente à chaque fois de lancer la balle en direction des services des Domaines et de l'urbanisme ou encore d'insister sur l'absence d'instruments de contrôle pour éloigner les soupçons sur sa personne étant donné qu'il occupait le même poste, à l'époque de Bachir Frik, et qu'il aurait pu alerter les autorités concernées sur cette situation. Le Français Delos et l'avocat du ministère des Postes et Télécommunications se sont succédé à la barre avant la levée de l'audience. Celle-ci reprendra aujourd'hui avec le réquisitoire du ministère public, les plaidoiries, les délibérations et enfin le verdict, certainement très tard dans la soirée.