La rencontre entre l'Orient et l'Occident s'est effectuée, samedi soir, sur la scène du Théâtre de verdure d'Alger. Deux grands talents, Natasha Atlas et Jocelyne Pook, ont fini de nous convaincre que l'harmonie entre le Levant et son opposé géographique est possible et réalisable. Il s'en est fallu de peu pour que son concert soit annulé plutôt que reporté. Et c'est certainement pour cette raison que les gradins du Théâtre de verdure n'étaient pas archicomble. Mais passons. Le concert a débuté peu avant 21h30, en douceur. Sur la scène, le thar et le bendir côtoient violons, oûds, guitares, accordéon, clavier, violoncelle et derbouka. La première partie est principalement consacrée au répertoire de Jocelyne Pook. Très classique, comme le prévoyait sa formation. Sur Ïche ya bani Adam, la voix profonde de Natasha Atlas accompagne une parfaite orchestration. Et Jocelyne Pook gratte plus qu'elle ne caresse le violon sur Harmony, chantée par Clara. Pour sûr que l'harmonie est parfaite entre ces 9 personnes de deux mondes opposés, désormais si proches en musique. Le public ne semble pas accrocher. Et pour cause, nombreux sont ceux qui s'attendaient à de la variété égyptienne, celle qui fait danser à en perdre haleine. Grande déception pour ceux-là. La soirée promettait de la belle poésie arabe, de la musique classique et des sonorités recherchées. Quelques rythmes incitent au déhanchement et l'Egyptienne en fera de nombreuses démonstrations sensuelles tout au long de la soirée. A un moment, elle se lève de son siège et enfile une fouta kabyle. On annonce la surprise de la soirée : une chanson de Idir. Mais pour des problèmes d'accord et parce que la sono n'en faisait qu'à sa tête, l'interprétation de Avava inouva sera reportée à la seconde partie de la soirée. Entre temps, l'orchestre se retire pour un quart d'heure. Ali Gamal, l'accordéoniste, prend les choses en main. Un superbe istikhbar échappe au public, puisque de nombreuses personnes ont quitté les gradins, pensant qu'il s'agissait d'une récréation. La derbouka, qui rejoint l'accordéon, les rappelle tout de même à l'ordre. On se déride peu à peu, on suit la cadence en tapant des mains, et des petites filles, le sourire aux lèvres, esquissent quelques pas plutôt adroits. Au fur et à mesure, d'autres musiciens reviennent sur scène. L'ambiance se transforme. La tendance est au chaâbi. Quelques youyous prouvent que le public apprécie l'interprétation du compagnon de l'Egyptienne. Une fois l'orchestre totalement reconstitué, Natasha Atlas, qui était sombrement vêtue, revient dans une autre robe plus claire et colorée, pour chanter Avava inouva avec son compagnon algérien. La reprise est superbe. L'alliance berbéro-égyptienne est époustouflante. Au mieux de sa forme et malgré quelques problèmes au niveau de la sono, elle attaque fermement son répertoire et se déhanche voluptueusement sur le rythme oriental. Bizarrement, le public semble ému ou impressionné. Peut-être un peu des deux. Les visages sont tendus vers l'ensorcelante Egyptienne qui enchaîne les titres, où l'oriental fusionne avec la techno et autres rythmes électroniques, dont Ayecheteni (chanson titre de l'album du même nom), et un autre titre de l'album Halim (hommage au chanteur égyptien Abdelhalim Hafez). « C'est vrai qu'on est peu de choses », dit-elle avant d'entamer Mon amie la rose, la reprise de Françoise Hardi. Du bonheur se lit sur les visages de l'assistance, des soupirs et des sifflements fusent des gradins. Plus tard, elle disparaît pour laisser place à un solo de derbouka des plus incroyables, et revient dans une autre robe noire et dorée, cette fois-ci, pour le dernier quart d'heure. Toujours aussi affriolante, elle arrive à remuer le public et de nombreuses personnes se lèvent pour danser. Certains tenteront de lui ravir la vedette, mais ce sera difficile d'égaler le talent de la danseuse du ventre. Celle-ci annonce la dernière chanson avec son partenaire, Ya djillali daoui hali, pour finir en algérien. Karkabou, derbouka, bendir et oûd déchaînent la foule. Un youyou égyptien marque la fin du spectacle... Quoi qu'en pensent certains, le style de cette touche-à-tout n'a rien d'ennuyeux. Cette façon si naturelle d'allier l'Orient et l'Occident ne peut être que de l'ordre du génie. Majestueuse, elle a un charme fou, malgré son excentricité. Et l'union entre les deux orchestres, le travail de Jocelyne Pook et de la belle orientale, n'est qu'une preuve supplémentaire à l'idée que l'Orient et l'Occident pourraient bien vivre en parfaite harmonie.