En dépit de la chaleur sévissant en ce mois sacré, les rues de la ville grouillent de monde, à croire que personne ne travaille. A partir de midi, la foule est partout, entre autres les badauds, qui espèrent, pour la plupart, tromper la longue et fastidieuse attente de la rupture du jeûne en faisant le tour des marchés de la ville, se repaissant virtuellement de toutes les victuailles chamarrées, éhontément offertes à leurs yeux ensommeillés et larmoyants, à force de bayer aux corneilles. De jeunes plaisantins, également en mal de distractions, adossés aux murs, rivalisant «de traits d'esprit», s'égayent comme ils peuvent aux dépens des passants. Leurs journées du Ramadhan s'égrènent, moroses et ennuyeuses à souhait. Parfois, une rixe inespérée vient casser la routine, et l'on jubile, même si le drame n'est pas loin. En fait, une atmosphère diurne, létale pour tous les oisifs. Ceux-là attendent le soir pour vivre. Il faut des pelletées d'imagination pour se détendre dans leur ville qui, tout de même, manque cruellement de lieux appropriés aux loisirs. Après le f'tour, beaucoup de familles, désespérément en quête d'endroits pour se défouler, investissent même ceux où, a priori, il apparaît insolite d'y chercher un délassement, comme par exemple les alentours du pont suspendu, Sidi M'cid. Des femmes, des hommes et des enfants, munis de toutes sortes d'amuse-gueule : confiserie, boissons fraîches, sandwichs ou brochettes (qu'ils s'offrent sur place chez des marchands occasionnels, avec tous les risques d'intoxication encourus), prennent l'air dans les parages, en admirant l'effet des jeux de lumière sur ce pont fabuleux, ayant récemment fait l'objet d'un ornement architectural. Spectacles insolites, tout en lumières Le principe de ce nouvel art, c'est de dessiner le relief d'une œuvre architecturale par l'éclairage artistique, en donnant un contraste, ombre et lumière, comme le ferait la palette d'un peintre pour le clair-obscur, en partant des couleurs primaires pour aboutir aux tons les plus variés. C'est un procédé des plus intéressants, à base de Led (lumière et émission de diodes), libérant des cascades de lumières aux effets esthétiques extraordinaires, permettant un prolongement de la vie nocturne. De ce fait, d'où qu'ils arrivent, les voyageurs de nuit peuvent jouir du spectacle insolite d'un ouvrage à relief, émergeant d'un halo luminescent, identifiable non seulement depuis la Corniche, en arrivant par la route du Hamma, mais encore à des lieux à la ronde. Certains riverains ont donc choisi ce panorama comme lieu de détente nocturne, et par la force des choses, celui-ci est devenu «la promenade des Constantinois» (non pas celle des Anglais). D'autres se rendent sur l'esplanade du 1er Novembre (ex-la Brèche) (celle-ci est prise d'assaut par un nombre impressionnant de noctambules), pour prendre un pot, déguster une glace, ou éventuellement manger un morceau, même si ce n'est pas toujours l'idéal en matière d'hygiène. D'autres encore organisent des petites veillées à bâtons rompus au square Benacer, à la place des Martyrs, ou sur la place Kerkri. Cette dernière devait accueillir, selon certains responsables locaux, des spectacles et autres divertissements de plein air, mais encore une fois, elle demeure inexploitée. Il s'en trouve, parmi les gens véhiculés, qui poussent jusqu'à la cité Boussouf, réputée pour ses crémeries, où l'on peut même s'installer sans trop de désagrément. La petite ville d'El Khroub draine aussi beaucoup de gens grâce à ses marchands de brochettes, mais surtout à un confiseur et glacier hors pair. Ses sorbets aux divers parfums ont acquis une grande notoriété. En somme, ça vaut le détour. Certaines personnes, à défaut de prendre l'avion, vont encore s'asseoir face à l'aéroport, en admirent les lumières, respirent un peu d'air frais, et… voyagent par procuration. Bien entendu, il s'en trouve parmi les Constantinois qui passent leurs soirées à jouer aux cartes devant leurs maisons, rendent visite à leurs proches ou encore qui se rabattent sur les programmes, pas toujours digestes, de l'ENTV, laquelle il faut le dire, «a encore brillé par sa médiocrité», dixit de nombreux téléspectateurs. Malouf, aïssaoua et Ouasfane Cependant, bien des espaces demeurent non exploités à cause de l'insécurité et de l'incivisme, comme le Tombeau de Massinissa, le Monument aux morts et le site de Sidi Mohamed El Ghrab, dans la localité de Salah Bey, avec sa défunte piscine olympique, autrefois lieu mythique et votif pour les adeptes de la «nechra», rituel consistant en danses initiatiques et autres offrandes au saint patron. Ces endroits pourraient aisément, avec un peu de bonne volonté, accueillir des galas ou autres soirées ramadhanesques. Un fait est cependant incontestable : les habitants du Vieux Rocher ne sont nullement casaniers ni pantouflards, ils sont avides de sorties, aiment faire la fête et ne sont pas forcément regardants à la dépense. Le programme spécial Ramadhan, concocté par la direction de la culture et d'ores et déjà entamé dimanche, comprend des concerts de malouf, aïssaoua, les Ouasfane, des pièces de théâtres, bref une panoplie de divertissements. Mais, car il y a toujours un mais, l'horaire, 22h, (à cause de la prière des tarawih), prévu pour l'ouverture des différents spectacles, n'arrange pas la majorité des habitants de Constantine, hormis peut-être ceux résidant au centre-ville. En effet, les gens non véhiculés ne peuvent espérer trouver du transport à minuit. Pourtant, c'est connu, ils adorent le théâtre et le 4e art a toujours eu ses lettres de noblesse dans la ville des Ponts. Voilà ce qui s'appelle mettre la charrue avant les bœufs. De plus, toutes les manifestations culturelles sont concentrées dans la ville, alors que les autres communes font figure de parents pauvres. El Khroub, Aïn Smara, Benbadis, Aïn Abid et Hamma Bouziane, pour ne citer que celles-ci, n'ont droit qu'à une représentation par semaine. Tout ce qui concerne Constantine-ville est dispatché sur les lieux habituels, à savoir le palais de la culture Malek Haddad, le TRC et le théâtre de verdure. Au fait, où en sont les salles de cinéma ? La population constantinoise a pourtant bien entendu la promesse faite, au printemps dernier par le directeur de la culture que la salle An Nasr rouvrirait au plus tard cet été… En attendant des jours meilleurs, Cirta l'antique est en train de se déposséder de ses repères et sa population continue de vivoter, tristement nostalgique de sa splendeur passée.