Chemise blanche immaculée, des galants dorés accrochés à l'épaule pour certains, et un visage qui en dit long sur le dur métier qu'ils exercent en assurant le transport des hydrocarbures par bateau pour le compte de Sonatrach. Eux, ce sont tout ce personnel navigant qui englobe les commandants de bord, les capitaines et seconds capitaines, les officiers, les cuisiniers, les matelots, les mécaniciens et chefs mécaniciens, etc., qui exercent à bord des méthaniers et autres navires de produits pétroliers. Venus de toutes les régions du pays, ils se sont rassemblés, hier, sur le perron de la centrale syndicale, à Alger, qu'ils ont partagé d'ailleurs avec les 320 travailleurs de Sonatro (Société nationale des travaux routiers), qui occupent cet «espace des lamentations» depuis plus d'un an pour protester contre un licenciement abusif juste parce qu'ils avaient dénoncé la situation d'absence de cahier des charges au niveau de l'unité de Tizi Ouzou, en avril 2009. Ils avaient refusé la réintégration avec des contrats à durée déterminée en tant que nouvelles recrues, alors qu'ils cumulent pour leur majorité au moins 20 années de service. Une situation dramatique, qui a suscité la compassion et la solidarité des marins, venus en force exprimer eux aussi l'inquiétude qui pèse sur leur profession. Les promesses faites, en juillet 2008, par la direction générale d'améliorer leurs conditions de travail se sont avérées vaines. Ils reviennent à la charge à la suite de « l'ingérence » de l'administration dans les activités syndicales «à travers ses manœuvres dilatoires pour pousser l'union locale d'Oran à ne retenir qu'une section unique regroupant le personnel navigant et celui sédentaire, alors que les deux collectifs sont régis par des règlements intérieurs, conventions collectives et statuts différents», explique M. Charef, du syndicat d'entreprise. «C'est une ingérence caractérisée et sans aucune réserve dans l'organisation de l'unique assemblée générale prévue le 15 septembre prochain, puisque le premier responsable de l'entreprise a même diffusé un communiqué officiel aux travailleurs dans lequel il les invite à y prendre part. Nous voulons avoir notre propre syndicat, celui des gens de la mer», explique M. Charef. Ce dernier est rejoint par plusieurs de ses collègues, notamment les commandants de bord. Représentant du personnel navigant, Berrama Seddik, n'y va pas avec le dos de la cuillère pour décrire une situation des plus difficiles. «Nous constituons un collectif de plus de 700 marins toutes catégories confondues, alors que les sédentaires ne dépassent pas les 360 éléments. Nous refusons d'être représentés par des gens qui ne connaissent ni notre métier ni nos préoccupations. La direction générale veut faire une seule assemblée générale, parce qu'elle sait que ceux qui seront élus ne peuvent être que des sédentaires, le personnel navigant est tout le temps en mer, ils seront minoritaires lors de l'élection…», déclare M. Berrama. Mieux, il explique que le poste de capitaine d'armement «est toujours entre les mains d'un sédentaire, alors qu'ailleurs, il revient de droit aux gens de la mer, parce qu'ils connaissent assez bien le métier. Nous avions eu deux morts récemment à bord des navires, dont un revenait d'une lourde convalescence et il a été embarqué. Le navire a été obligé de faire une escale en Espagne pour y débarquer le corps. Nous avions exigé une commission d'enquête mais nous ne savons toujours pas qui en sont les responsables», ajoute-t-il. Le commandant Souici Farid lui emboîte le pas et affirme : «Nous transportons des produits très dangereux dans des conditions extrêmement difficiles qui appellent à une attention particulière. Néanmoins, les responsables d'Hyproc ne semblent pas conscients d'une telle situation. Ils multiplient le recrutement des sédentaires alors que l'activité de la compagnie est principalement en mer. C'est vraiment suicidaire.» Le commandant Akrour met l'accent sur les conditions de travail «extrêmement difficiles», notamment du fait de la vétusté des navires au nombre de 13 qui, exception faite pour ceux acquis en partenariat avec les Japonais, dépassent pour la plupart les 30 ans d'âge. «Ils ont vendu les sept navires de cabotage, à bord desquels exerçaient entre 25 et 30 marins, dans le cadre du désinvestissement sans pour autant élaborer un plan de restructuration de l'emploi…» M.Charef rebondit sur la question d'organisation qui, selon lui, a coûté à l'entreprise plus de 15 à 20 millions d'euros sans pour autant que cela soit rentable. «En 2007, le bureau Ernest Young a élaboré une étude de restructuration, pour un montant de 7,5 millions d'euros, auxquels il faut ajouter d'autres frais, et dont les recommandations n'ont jamais été appliquées. Plus grave, la direction générale poursuit sa politique de recrutement abusif du personnel sédentaire, des retards dans le paiement des salaires des marins sans compter la mauvaise gestion des arrêts techniques. 11 sur les 13 navires sont en arrêt technique depuis plusieurs mois, engendrant des prises en charge colossales dans les ateliers espagnols. Le cas du Ben Boulaïd est révélateur. Après 6 mois d'arrêt dans un chantier naval allemand, il a subi une avarie à son arrivée en Algérie, puis il a été transféré en Espagne, pour une autre réparation. A cause de ce navire, les résultats de l'exploitation pour l'année 2005 ont été déclarés déficitaires de 875 millions de dinars. Le budget annuel de la maintenance atteint 8 milliards de dinars, soit près de 130 millions de dollars, pour une masse salariale de 4 milliards de dinars», note M. Charef. Le commandant Sennouci estime que «le silence» de sa corporation durant des années a fait que la situation «s'est gravement détériorée au point où de nombreux commandants de bord ont fini par rejoindre les pays du Golfe, d'autant que le marché international connaît une crise en matière d'encadrement». A ce sujet, son collègue Akrour se demande pourquoi la compagnie recourt au recrutement d'expatriés, une dizaine, non déclarés et gracieusement rémunérés, et en même temps, pousse ses cadres aux départs massifs. Il s'insurge contre la politique de recrutement en disant : «Dès notre fin de formation, nous signons des contrats de fidélité de 5 ans avec Hyproc, mais en contrepartie nous ne sommes embarqués que durant 8 ou 9 mois, avec le risque de se voir tout le temps à terre, en cas de protestation. L'Etat a beaucoup investi dans notre formation, nous faisons au moins 8 années de cursus après le bac et après nous nous retrouvons en sursis…» Pour toutes ces raisons, le collectif du personnel navigant interpelle le secrétaire général de l'UGTA sur la nécessité de constituer un syndicat propre à leur activité. L'accord de principe leur a été donné, mais à ce jour, des réticences bloquent encore sa création effective sur le terrain.