Le débat est alors ouvert dans la salle et de nombreux points sont soulevés : le poids de la géopolitique mondiale, le rôle des USA est ici mis en exergue et là dénoncé. Les USA ne sont-ils pas en train de favoriser après des accords avec les armées de ces pays d'aider à la recomposition des scènes politiques dans la région avec en exemple le modèle turc. La France aurait là perdu la main, selon K. Finan, la France politique, journalistique et économique, comme celle des experts, a construit une image simpliste des trois pays du Maghreb central. L'Algérie est considérée comme un pays «difficile». Le Maroc a la palme de l'ouverture et du développement. Et la Tunisie était un «pôle de stabilité avec 5% de croissance, en dépit de menus problèmes dans la gestion des droits de l'homme». Nul besoin de dépasser ces clichés puisque, comparé au Proche-Orient, «il ne se passait rien au Maghreb». La France et l'Union européenne voulurent voir dans leur immobile glacis maghrébin le fruit d'une gouvernance ayant des vertus particulières. Les pouvoirs en place y constituaient un «rempart» contre l'islamisme. Et ils empêchaient une émigration incontrôlable vers l'Europe. Pour elles, par la grâce de ces blancs seings, les Etats du Maghreb ont les coudées franches et jouissent d'une totale impunité envers leurs opposants. Paupérisés et marginalisés, ceux-ci ne bénéficient presque jamais de l'écoute des diplomates français. Dans certains cas, ils s'entendent signifier que leur présence n'est pas souhaitable dans les centres français, la colère des autorités pouvant conduire à la fermeture du centre, privant ainsi leurs collègues de publication… Parfois, leur extravagant combat pour les libertés les conduits à l'exil. Non, l'attitude de la France à l'égard de la Tunisie durant l'insurrection de janvier 2011 ne fut ni surprenante ni accidentelle. Elle s'inscrit dans un désintérêt, qui relève du mépris, pour le sud de la Méditerranée. Et lorsqu'ils décideront de réhabiliter leur influence dans cette arrière-cour, les Français risquent de se heurter à un acteur international hégémonique qui aura su, à peu de frais, habilement corriger son image auprès d'un monde arabe meurtri et délaissé. L'Europe doit comprendre selon K. Finan que la page du colonialisme et de ses séquelles avec une pseudo ingérence, c'est terminé, c'est la proximité qu'il faut gérer dans le cadre de la mondialisation. Elle doit aussi comprendre que ces craintes ne doivent plus résider dans la prise de pouvoir par les islamistes, mais bien dans une déstabilisation de son Sud. Elle doit trouver rapidement des relais et des interlocuteurs de la société civile, sortir de sa diplomatie digne du XIX e siècle et se doter des moyens nécessaires pour accompagner les transitions dans son propre Sud, sans faire semblant, mais en étant dans le vrai. Il n'y a pas que la violence des islamistes qui peut gagner son territoire, la déstabilisation de son flanc sud est très mauvaise, au plan économique, politique et autres. Selon K. Finan, elle doit mettre en place au niveau de l'UE et au plan bilatéral un plan d'action au niveau de la formation, des échanges, de l'observation des élections, de la mise en place et de l'organisation de l'espace public avec des journaux, des Thinks Tanks, des TV, bref faire ce qui a été fait dans les pays d'Europe de l'Est. Mohamed Harbi met quant à lui en garde contre le fait de donner plus de poids aux variables externes et de toujours montrer du doigt les impérialismes, il invite à regarder plus du côté de ce qui se passe chez nous, de nos responsabilités, parce que les contradictions sont avant tout locales et la convocation du nationalisme est souvent un masque à nos propres faiblesses et une fuite en avant. La question de «la contagion» a été posée et a été critiquée, Ahmed Dahmani a notamment assimilé cette notion à ses présupposés médicaux voire de maladie galopante. Il a été mis en garde sur les conclusions hâtives et l'on a souligné le poids des caractéristiques propres aux pays. K. Finan a mis en exergue pour le Maroc le caractère consensuel de la légitimité du Royaume. En Tunisie, c'est bien le tyran qui est tombé, mais le régime est toujours là et le réseau du RCD est bien en place. Les conférenciers invitent à la prudence, on n'est pas encore dans le printemps arabe. L'islamisme politique est une réalité de tous ces pays et Nicolas Beau pense que le test sera le retour de Rached Ghannouchi, comment sera-t-il géré ? L'attitude des USA va-telle être différenciée selon la postions géostratégique de tel ou tel pays où un même traitement est-il engagé dès lors que les leaders de l'opposition islamiste et laïc acceptent le jeu de l'ouverture. Certains intervenants ont mis également dans le doute le poids de la mise en œuvre des seules techniques modernes de diffusion dans le démarrage et l'élargissement du mouvement. Sans remettre complètement en cause l'effet propre de ces moyens selon les modes d'appropriation et d'usage locaux qui ont déverrouillé en partie les régimes sécuritaires, l'accent a été mis par certains sur principalement l'évolution du syndicalisme tunisien proche de la base et le poids du local dans le développement du mouvement. Les enseignements que l'on peut tirer dans le moment est que le changement par le bas, en l'absence de réformes politiques par le haut, est possible ; que les pays de la région ne sont pas moins fermés que d'autres à la «démocratie».Cependant, la quadrature du cercle du processus démocratique n'est pas complètement dépassée dans l'aire en question. Aïssa Kadri conclut sur une citation d'un politiste qui écrit : «Seul un Etat démocratique peut créer une société civile démocratique avant d'ajouter, seule une société civile démocratique peut soutenir un Etat démocratique. Un ordre démocratique ne peut se concevoir sans société civile. Mais le potentiel démocratique de cette société civile fait lui-même fonction de la teneur démocratique de l'Etat.» Mais les pesanteurs politiques et culturelles, le niveau général d'éducation, les processus d'idéologisation du champ religieux ne contribuent pas à l'affirmation aussi bien d'une conscience citoyenne que d'une acceptation d'alternance par la prise en compte d'autres idées et projets et une circulation des élites qui ne doive pas aux réseaux clientélistes et népotiques.