Derby littéraire à la Bibliothèque nationale d'El Hamma à Alger, hier, sous les auspices de Bachir Mefti, auteur et éditeur, et de Amin Zaoui, auteur et maître des lieux. Deux natifs de Hassi Bahbah, dans la wilaya de Djelfa, Khelil Hachlef et Mohamed Belkacem El Chaïeb, sont venus débattre de leurs premiers romans, respectivement Aqsa al achya' (Au bout des choses) et Ma baynana (Entre nous). Hachlef est employé municipal. El Chaïeb est enseignant. Ils ont passé presque en même temps la frontière entre récit et roman. Les deux ont des expériences en tant qu'auteurs de récits, qissas. El Chaïeb expose l'ambiguïté des relations homme-femme avec pour canevas l'ambiguïté originelle entre Adam et Eve qui, à ses yeux, étaient amants, époux, frère et sœur, amis... L'enseignant part des lettres d'amour échangées avec son épouse avec laquelle il a trois filles, comme matière brute au récit et au style. « En plus, ma mère vit avec nous, j'évolue dans un environnement féminin... Une étude américaine explique que pour comprendre les femmes, il faut, dans un premier temps, les considérer comme des extraterrestres... », lance l'auteur qui préfère parler d'« autobiographie sentimentale ». Ma baynana est une histoire d'amour(s) entre un homme et plusieurs femmes, occidentales, algériennes, jeunes, âgées... Il a même enquêté dans un cabaret à Bouhaifiya, dans la région de Aïn Defla, pour comprendre le travail des prostituées. Un texte étonnant. Son voisin de Hassi Bahbah s'inscrit dans le corps textuel contemporain avec un texte fragmenté, à l'image de la fragmentation du monde, dit-il. Le récit se décline en un combat entre l'auteur et le narrateur qui tombe amoureux. Amin Zaoui pose la problématique des jeunes auteurs qui sautent sur les « grandes thématiques » délaissant la part intime et immédiate de la vie. « La politique, le terrorisme, etc. sont, pour moi, de petits thèmes, contrairement à l'amour, aux gens... », estime Khelil Hachlef. Pour Bachir Mefti, l'importance des thématiques travaillées compte peu. « Le plus pertinent reste la manière de les décrire, de voir comment l'auteur interagit avec son contexte », appuie l'auteur de Arkhabil adhoubab (L'archipel des mouches). Mais comment dire le « moi » dans un contexte de crise généralisée et de mainmise du « nous » ? Présente, Zineb El Mili, journaliste pionnière et artiste, évoque l'autobiographie de son mari, intellectuel, ancien haut fonctionnaire sous Boumediène, ambassadeur, directeur général de l'Alesco. L'autobiographie, publiée sur plusieurs épisodes dans le quotidien Echourouk El Yaoumi, suscite polémiques et tempêtes de réprimandes. « En arabe, il ne faut pas parler de sexe, d'onanisme... La femme ne doit jamais prendre la parole... C'est un climat qui favorise l'hypocrisie », dénonce Zineb El Mili. « Nous avons trop l'habitude des autobiographies angélistes dans le monde arabe », estime l'écrivain Amin Zaoui. Mefti raconte, pour sa part, l'anecdote du cinéaste du maquis de la Révolution algérienne, René Vautier, censuré pour avoir montré un combattant de l'ALN pleurer. « Même les auteurs n'y échappent pas. Il y en a certains qui bénéficient d'une véritable sacralisation », ajoute le poète Abderrezak Boukebba. « Nous avons besoin de varier les noms de l'écriture et nos deux nouveaux romanciers sont les bienvenus. Nous nous en félicitons en tant qu'auteurs et lecteurs », dit Bachir Mefti, également chef d'édition à El Ikhtilef, qui a publié les œuvres de ces deux auteurs. Des rencontres avec ces derniers sont également prévues prochainement à Djelfa. Les écrivains l'annoncent non sans une fierté bien naïlie.