Emeutes, grèves, sit-in, marches… En douze ans de règne, le président Bouteflika a bien réussi une prouesse : celle de rendre tous les Algériens mécontents… de leur statut social. Il ne se passe plus un jour sans qu'il y ait un acte de protestation quelque part dans cette immense Algérie. Du chômeur perdu dans les ergs du Grand Sud à l'enseignant contractuel piétiné des fins fonds des Hauts-Plateaux en passant par le garde communal, l'étudiant, le médecin, le fonctionnaire, l'avocat, le juge, le commerçant et le handicapé, aucun secteur n'a échappé à cette grogne sociale qui est loin de s'estomper. Les Algériens, toutes catégories confondues, réclament de la considération, de la reconnaissance, des salaires dignes, un statut social respectable, une vie décente… En janvier dernier, des citoyens sont sortis à travers le pays pour protester contre l'augmentation des prix de l'huile et du sucre. Le mouvement, qui s'est soldé par cinq morts et plusieurs blessés, s'est essoufflé quelques jours plus tard, après que le gouvernement eut baissé les prix. Mais depuis ces émeutes, l'Algérie vit au rythme de la grogne sociale, notamment à Alger où se concentre la contestation qui, depuis, ne cesse de s'amplifier. Rien qu'en mars dernier, près d'une centaine de mouvements de protestation de grande envergure ont eu lieu à travers le pays. La première semaine du mois d'avril a été encore plus mouvementée avec des sit-in et grèves dans différents secteurs. Les gardes communaux campent depuis cinq jours à la place des Martyrs, en plein centre d'Alger. Ces suppléants des forces de sécurité, recrutés durant la période du terrorisme, réclament une augmentation des salaires, l'intégration des radiés et l'incorporation de certains autres au sein de la gendarmerie et de la police. Les médecins résidents, toujours en grève illimitée, se sont rassemblés hier devant la Présidence. Ils demandent essentiellement la suppression du service civil. Secteur névralgique, celui des hydrocarbures, a connu également un malaise exprimé via des grèves de la faim sporadiques et des rassemblements dans les zones pétrolières et gazières du Sud. Les chômeurs réclament leur droit au travail. Les handicapés demandent des pensions décentes… En empêchant toute manifestation politique, le pouvoir a fini par encourager les revendications pécuniaires, attisant ainsi le mécontentement social. Si elle s'accentue ces derniers mois, la contestation sociale, faut-il le souligner, n'a pas cessé depuis l'arrivée de Bouteflika au pouvoir, en avril 1999. Selon les chiffres officiels de la Gendarmerie nationale, plus de 11 000 émeutes, rassemblements et manifestations ont eu lieu dans ce pays durant l'année 2010. A cela s'ajoute le retour des pénuries de toutes sortes de produits : médicaments, poudre de lait, liquidités dans les bureaux de poste, timbres fiscaux… Ainsi, plus de 20 ans après la libéralisation du pays, les Algériens renouent avec l'ambiance de triste mémoire du socialisme spécifique. Ces mouvements de contestation illustrent on ne peut plus clairement l'état critique de la santé économique du pays, démentent tous les discours sur le progrès et remettent en cause tous les données sur les avancées socioéconomiques enregistrées par l'Algérie.