A 13 ans, il est déjà éreinté, affaibli et las. Pendant les deux années de son hospitalisation, Kamel, touché par une forme de cancer des os, et ses parents ne luttent pas uniquement contre le cancer, mais aussi contre la bureaucratie des hôpitaux, la pénurie des médicaments, l'absence de prise en charge et la difficulté d'obtenir un rendez-vous pour la cure de chimiothérapie et de radiothérapie. Son malheur pèse plus que le poids de son corps chétif. Son visage blême ne porte plus que des yeux embrumés et un sourire figé. Son crâne affiche les premières repousses de cheveux. Kamel passe ses journées sur un matelas à même le sol, à défaut de lit, les yeux fixés sur la télévision. Son esprit ne s'anime certainement pas avec les images qui défilent, il se concentre plutôt sur ces petits bouts de vie qui lui échappent de jour en jour. Il participe aux discussions, interrompt ses parents et quémande, avec insistance, un verre d'eau comme pour s'imposer, par crainte d'être ignoré par les siens. Mais les douleurs atroces le rappellent à l'ordre. A bout de souffle, il se tait, ne bouge plus. Des larmes coulent sur sa peau si pâle. Des regards tristes s'échangent entre lui et ses parents. Le silence couvre la pièce trop exiguë. A 9 ans, alors qu'il était le premier de sa classe, il commença à éviter l'école. Et lorsqu'il y allait, c'était pour passer la journée à se plaindre jusqu'à pleurer de douleur. Son institutrice convoqua alors ses parents. «Il se plaignait déjà à la maison de douleurs au niveau de son bras gauche. Son père pensait que c'était dû à un faux geste et temporaire, mais mon cœur me disait que c'était plus grave», raconte Djamila, sa mère. Pour en avoir le cœur net, elle ne se contente pas des premiers avis de médecins généralistes et consulte des spécialistes. Le diagnostic est sans appel : Kamel souffre du sarcome d'Ewing, une forme de cancer des os qui touche principalement les enfants et les jeunes adultes. 1200 DA de taxi Cette tumeur, rare, atteint deux à trois personnes par million d'habitants par an. «Lorsque le médecin m'a demandé si j'avais d'autres enfants que Kamel, il n'a fait que confirmer mes soupçons. J'ai prononcé le mot… cancer avant qu'il ne me l'annonce», soupire Djamila. Le choc est dur pour la jeune mère, mais le parcours du combattant qu'elle mène depuis ce jour fatidique l'aide à «accepter ce drame», confie-t-elle. A chaque contrôle chez le médecin traitant, Kamel et sa mère doivent remonter encore une fois la pente face à des délais de rendez-vous étalés sur des mois, des portes fermées pour une prise en charge à l'étranger, sans explication aucune. Quant à son père, Rabah, tiraillé entre le regret de ne pas avoir décelé plus tôt la maladie de son fils, et le sentiment d'impuissance face à une pathologie redoutable, il ne s'en remet pas. «Le mal qui ronge notre fils est pour mon époux un mystère avec lequel il n'arrive pas à vivre, une malédiction qui a cruellement brisé notre famille. D'ailleurs, le mot ‘‘cancer'' est banni du vocabulaire de ma petite famille.» Une famille de quatre enfants résidant dans une modeste maison, dans la banlieue algéroise. «Ne faites pas attention à l'état de mon habitation, précaire comme vous devez le remarquer», balbutie le père. Il nous conduit vers la pièce où le visage souriant de Kamel nous met du baume au cœur. Alors qu'il fait plus de 23°C, l'enfant est couvert d'une couverture épaisse. En revanche, en été, c'est la chaleur et les insectes qui couvrent son corps, à défaut de climatiseur, trop cher pour ses parents. Débordé et abattu, le père, coiffeur, n'a pu continuer de travailler. Pour cette famille aux ressources limitées, les soins et les frais de transport sont trop lourds à supporter. Frais de taxi à 1200 DA par semaine, examens réguliers tels que le scanner entre deux séances de chimiothérapie à plus de 17 000 DA, etc. Le bras long pour un rendez-vous ! Mais Djamila, qui arrive aisément à mettre des mots sur ses maux, s'estime «heureuse» que son fils soit encore en vie dans un pays où la survie ne dépend pas uniquement de la gravité de la maladie. «Durant les deux années de traitement de mon fils, chimiothérapie suivie de radiothérapie, j'ai vu des horreurs. Des malades venant de très loin rebroussent chemin le jour même, faute de rendez-vous. Depuis que le Centre Pierre et Marie Curie souffre de pénurie de drogues pour la chimiothérapie, on recommande aux malades de patienter. C'est absurde ! Un cancéreux peut-il attendre trois à six mois pour une séance de chimiothérapie indispensable pour éviter la rechute ?» s'emporte la mère de Kamel. Entre le CHU de Beni Messous et celui de Mustapha Pacha, Djamila a eu sa part de désespoir face à un système de santé extrêmement bureaucratique. «L'an dernier, mon fils devait passer une radiothérapie, chose qui n'est pas possible si l'on n'a pas le bras long. Abattue, je me suis cachée dans les escaliers du CPMC pour pleurer avant de rejoindre mon fils dans une salle d'attente. Une étudiante en médecine, dont le père est médecin, m'a réconfortée et tout fait pour arracher un rendez-vous pour mon fils dans les délais exigés par son médecin. J'avoue que presque tous les rendez-vous pour les cures de chimiothérapie et de radiothérapie qu'a passées mon fils ont été, à chaque fois, obtenus en passant par une tierce personne. Mais les autres malades, surtout ceux de l'intérieur du pays, ont-il le même privilège que moi ?» dénonce la mère de Kamel. Sans réponse Pourtant, compte tenu de la rareté de cette pathologie et de sa gravité, la prise en charge doit s'effectuer dans un service hautement spécialisé. A ce sujet, Djamila avoue ne plus savoir à qui s'adresser pour que sa demande de prise en charge à l'étranger aboutisse. Pourtant, un médecin à Paris a pris attache, par l'entremise d'une connaissance, avec les parents de Kamel afin de leur assurer sa disponibilité pour s'occuper du jeune enfant, une fois la prise en charge accordée. A ce jour, leurs incessantes demandes sont restées sans réponse. En attendant, Kamel, cloîtré chez lui, se remémore ces mois passés à l'hôpital avec des dizaines d'autres enfants. Le pire souvenir de son hospitalisation, raconte-t-il, reste la découverte de sa maladie, à travers des affiches collées sur les murs de l'hôpital. Il retient également, de cette période la perte de ses «amis de l'hôpital», qui mouraient l'un après l'autre. Sur cinquante enfants, il n'en restait que quatre quand il a quitté le centre. A son retour à la maison, en mars dernier, il espérait réaliser ce à quoi il tenait le plus : sortir se promener. Sans fauteuil roulant ni véhicule, il reste cloué sur son matelas depuis l'arrêt de tous les traitements contre sa pathologie, sur recommandation de ses médecins. Kamel, qui a toujours rêvé devenir architecte, ne cache pas sa passion pour le foot. Il regrette d'ailleurs d'avoir raté le match de la coupe d'Algérie : «Je n'ai pas pu suivre le match, confie-t-il, car je dormais après avoir pris de la morphine pour alléger mes souffrances…»