La semaine dernière, des chrétiens ont été arrêtés à El Tarf et un autre est passé en procès à Oran. Alors que l'on connaît surtout les mésaventures des chrétiens de Kabylie, ceux de l'intérieur du pays réclament aussi le droit de vivre leur foi et l'abrogation de la loi de 2006. Appelons-le Belkacem. Constantinois de naissance, il se dit «Algérien et fier de l'être. Et chrétien et fier de l'être devenu.» Pas facile pour lui de vivre pleinement sa foi dans une ville aussi conservatrice que la capitale de l'Est, mais il tient le coup. «Je vis ma vie le plus normalement du monde, je travaille, comme n'importe quel citoyen, mais j'évite bien sûr de parler de mes croyances. Ici à Constantine, le conservatisme religieux est omniprésent, il suffit de voir toutes ces femmes voilées, je pense que même à Sétif ou à Guelma, elles ne sont pas aussi nombreuses. De plus, depuis 2006, nous éprouvons beaucoup de difficultés à faire passer le message du Christ, ce n'est plus comme avant. Si nous tentons quoi que ce soit, nous risquons l'arrestation sur simple dénonciation comme si nous étions des criminels.» Bien sûr, on connaît surtout la situation des chrétiens en Kabylie, mais à l'intérieur du pays, les chrétiens réussissent-ils à vivre sereinement leur foi ? La semaine dernière, deux jeunes auraient été arrêtés pour prosélytisme dans la wilaya d'El Tarf - même si, pour le moment, l'information ne semble pas être confirmée par Mustapha Krim, président de l'Eglise protestante d'Algérie. A Oran, le procès d'un chrétien a été reporté cette semaine au 17 novembre. Arrêté suite à une dénonciation de son voisin, il est, lui aussi, accusé de prosélytisme. Dans ce contexte, Mustapha Krim demande à nouveau que la loi de 2006 (voir interview ci-dessous), soit abrogée ou révisée avec le concours des représentants algériens du christianisme. Pour rappel, cette loi soumet la liberté de culte à diverses autorisations. Or, dans les faits, les chrétiens, dont nous avons recueilli les témoignages, assurent que cette loi «est surtout appliquée aux citoyens algériens de confession chrétienne, pour lesquels il est devenu risqué de porter sur soi un exemplaire de la Bible». Elle punit également toute forme d'évangélisation de 2 à 5 ans de prison et de 500 000 à 1 000 000 DA d'amende. Elle vise quiconque «incite, contraint ou utilise des moyens de séduction tendant à convertir un musulman à une autre religion.» «Malades mentaux» Sur l'axe Alger-Ghardaïa, Mohamed, 55 ans, confie : «Ici, vous savez, il est difficile de nous organiser, nous ne sommes ni à Alger ni en Kabylie. Doucement, mais sûrement, nous y arriverons, nous parviendrons à avoir notre propre lieu de culte. Il faudrait pour cela que l'Etat admette que des Algériens peuvent ne pas être musulmans, il faut qu'il abroge cette loi de 2006.» L'Etat estime à 70 000 le nombre de chrétiens en Algérie. Mustapha Krim avance pour sa part le chiffre de 30 000 protestants et environ 11 000 catholiques, en précisant qu'ils ne se trouvent pas «exclusivement en Kabylie», mais aussi à Alger, à Oran, dans le Constantinois, et également du côté des Hauts-Plateaux, comme Djelfa. Du côté des Aurès, une petite communauté se prépare pour la fête de Noël qui sera, pour beaucoup, célébrée le vendredi 23 décembre prochain. Kahina, 23 ans, protestante, se dit profondément confiante en l'avenir. «Je m'en remets à Dieu pour notre pays, pour notre avenir. Je n'ai pas peur, mais je suis parfois irritée par l'attitude de beaucoup de nos compatriotes qui nous stigmatisent et nous prennent parfois pour des malades mentaux. Et cette loi de 2006 n'a rien arrangé, au contraire, je prie chaque jour pour son abrogation, et pour que nous puissions jouir pleinement de notre croyance puisque notre Constitution est censée en garantir la liberté.» Belkacem, profondément attristé par cette situation, ajoute : «Cette loi n'a fait que nous stigmatiser davantage, nous sommes devenus des parias pour beaucoup de nos compatriotes et avec le ministre des Affaires religieuses que nous avons, tout va de mal en pis. Krahna. Houma habbine n'dirou kima khaoutna el iraqiine (nous n'en pouvons plus, ils veulent que nous fassions comme nos frères irakiens).»