La 52e édition du Festival de cinéma de Salonique (Grèce) est un carrefour filmique universel. D 'emblée, deux bonnes nouvelles en arrivant à Salonique (Thessaloniki). De Grèce : Théo Angelopoulos va faire un nouveau film The other sea, sur fond de crise grecque. D'Algérie : Okacha Touita aussi préparant un long métrage fiction Le droit chemin produit par Laith Média de Yacine Laloui, présent aussi au Festival de Salonique pour présenter le projet à ses collègues producteurs venus d'Europe et d'Amérique. Cet automne, la Grèce, pourrait figurer au livre des records : jamais dans ce pays il n'y a eu autant de grèves générales, de manifestations houleuses, violentes, populaires, massives et unanimes contre la politique du gouvernement. Les Grecs ne croient plus en quoi que ce soit. Pour eux, les politiciens de tous bords sont le diable en personne. Et pourtant, en débarquant à Salonique, on n'a pas le sentiment d'être dans le pays le plus brûlant d'Europe. Pendant dix jours, le Festival de Salonique, comme un défi à la crise, s'est passé sans dommage, dans une ambiance de fête cinématographique, sans l'onde de choc qui frappe la Grèce à partir de Bruxelles où siège l'Union européenne. A Salonique, le festival est né de l'amour du cinéma d'un public jeune, passionné et des facilités d'accueil d'une belle ville singulièrement active, qui a été désignée «Capitale culturelle de l'Europe». La sélection des films illustrait bien, cette année, l'esprit de recherche, avec beaucoup d'exclusivités venues de la région des Balkans, du brillant critique de cinéma Dimitri Espides, qui est le nouveau directeur du Festival de Salonique. Non limité géographiquement à cette vaste région des Balkans, dont Salonique est devenue la plaque (culturelle) tournante, le programme rassemblait des œuvres venues du monde entier, y compris d'Egypte, d'Iran et du Liban. De Grèce, les films de prestigieux réalisateurs figuraient à l'affiche : Constantinos Giannaris, Filippos Tsitos, Tanos Tsavas, Costas Kapakas, Alexis Tsafas. Des œuvres aussi de Roumanie, de Hongrie, de Russie, de Suède, du Mexique, du Canada qui n'ont pas laissé les spectateurs indifférents. C'est une cinéaste russe, Angelina Nianova, qui a remporté le grand prix Alexandre d'or (20 000 euros) pour son très beau film Twilight. Mais le véritable clou du festival a été la rétrospective intégrale du grand cinéaste turc Erden Kiral. Un auteur ultra brillant, témoin de tous les bouleversements politiques de son pays dans les années 1970-1980. Un cinéaste proche de Yilmaz Guney, Ali Ozgenturk, Sérif Goren, Omar Kavur, Zéki Okten... D'une complexité souvent dramatique, ses films, pour la plupart projetés à la Cinémathèque d'Alger, illustrent l'inégalité des classes en Turquie, l'injustice sociale, le sous-développement des campagnes sur fond de relations féodales, patriarcales. L'immense talent d'Erden Kiral et son regard très critique sur la société turque lui ont valu une reconnaissance internationale et en même temps... l'obligation de quitter son pays ! Beaucoup d'intellectuels et d'artistes turcs ont fui à l'étranger au cours des années de la dictature féroce de l'armée. Le Canal et Sur Les Terres Fertiles, les premiers films d'Erden Kiral, ont été interdits lors du coup d'Etat de 1980. Depuis son exil en Allemagne, Kiral a vu ses films entièrement disparaître, tous saisis par l'armée. Miraculeusement, 28 ans plus tard, on a retrouvé les négatifs en Suède, sauvés de la destruction. Sur Les Terres Fertiles est un film adapté du roman d'Orhan Kemal. C'est l'histoire des ouvriers des plantations de coton et leur départ vers les villes où ils y perdent toutes leurs illusions. C'est aussi un roman de Férit Ergu qui est à l'origine du film Une Saison à Hakkari (Ours d'argent au Festival de Berlin 1983). Kiral filme le choc culturel, l'isolement d'un intellectuel, professeur dans un village de la Turquie profonde. Avec la grande actrice Hanna Shygulla, Erden Kiral a fait L'Exil Bleu, un autre voyage d'exil, celui du poète Cevat Sakir (1890-1973). Sur la route (2005) est un hommage à son ami Yilmaz Guney, sur son transfert d'une prison à l'autre et la création d'un film imaginé par Guney mais réalisé par un autre réalisateur ami. Enfin, en 2010, pour la première fois, Erden Kiral réalise un documentaire : Halic (La Corne d'or), un film sur Istanbul très envoûtant. C'est l'histoire d'un Grec d'Istanbul qui retourne après des années d'absence sur les lieux de sa naissance. Les souvenirs d'enfance se mélangent ici aux images du présent. Ce n'est pas un film sur les mosquées, les bazars, les palais ou les hammams d'Istanbul. C'est un film sur la joie de retrouver les «vapurs», ces petits bateaux chargés de Stanbouliotes qui naviguent entre les rives de la Corne d'or. Sur les bruits et les désordres des débarcadères. Sur les souvenirs émus des bonbons d'Istanbul fabriqués dans le vieux quartier d'Unkapani, au pied de la Sulemaniyé. Sur le quartier mythique d'Eyup où Pierre Loti a installé ses rêves d'Orient. Sur le bonheur d'être de retour à Istanbul après une si longue absence.