Cinquante ans après leur signature, les Accords d'Evian sont toujours sous les feux de l'actualité. Dès le début de l'application des accords, les litiges entre Alger et Paris étaient nombreux. Annexes secrètes, circulation des personnes entre les deux pays et indemnisation des pieds-noirs, pour ne citer que ceux-là, assombrissent, à ce jour, les relations algéro-françaises. Aujourd'hui, les générations héritières de ce traité subissent les non-dits des deux «belligérants». Le politologue Rachid Grim anlyse : «Le cinquantième anniversaire des Accords d'Evian et celui de l'indépendance de l'Algérie ont remis à nu un certain nombre de rancœurs dues surtout à l'activisme, de part et d'autre de la Méditerranée, de groupes qui ont fait de la ‘‘mémoire'' leur fonds de commerce.» Résultat de négociations entre les représentants de la France et du Gouvernement provisoire de la République algérienne formé par le Front de libération nationale (FLN) durant la Révolution algérienne, ces accords voient le jour le 18 mars 1962 à Evian. Signés par le chef historique du FLN, Krim Belkacem, et, notamment, le ministre français des Affaires algériennes, Louis Joxe, ils comportent, entre autres, un cessez-le-feu ainsi que l'organisation d'un référendum d'autodétermination, la programmation du retrait des forces militaires françaises et un cadre de coopération entre les deux Etats, en particulier l'exploitation des richesses du sous-sol saharien. Décembre 1968, l'accord relatif à la circulation, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens sur le territoire français, dans le cadre des accords d'Evian, a été signé par les eux pays. Barrage Cet accord offre aux Algériens vivant en France un statut particulier, avec de nombreux privilèges par rapport aux autres ressortissants étrangers non issus de la communauté européenne. Mais depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, la France souhaite le modifier, avec comme objectif d'aligner l'Algérie sur le régime commun à tous les étrangers vivant sur le territoire français. Selon Rachid Grim, la gestion des relations franco-algériennes par le président Sarkozy – homme de droite, proche des thèses du Front National sur beaucoup de points intéressant les Algériens, immigration et préférence nationale, essentiellement – n'a pas souvent été du goût des autorités algériennes. «Le président français n'a pas d'atomes crochus avec l'Algérie et ne fait pas des relations avec notre pays une priorité. Sa préférence pour les positions marocaines dans le conflit du Sahara occidental et ses amitiés personnelles avec les membres de la famille royale marocaine, sont un secret de Polichinelle», précise le politologue. Du côté algérien, la sortie médiatique du ministre des Affaires étrangères, Mourad Medelci, au début de l'année, est on ne peut plus catégorique, en réitérant que les Algériens sont «déterminés à ce que cet accord soit préservé». Et d'insister : «2012 devrait être l'année qui permettra de considérer définitivement l'accord de 1968 comme un acquis sur lequel nous n'avons pas à revenir. Il y a un certain nombre d'évolutions positives du droit commun français dont bénéficient tous ceux qui ne sont pas Algériens et dont pourraient bénéficier les Algériens.» Annexes secrètes Outre la libre circulation des Algériens entre les deux pays, les clauses annexes dites «secrètes» autorisant la présence française cinq années de plus après l'Indépendance, demeurent un dossier classé «confidentiel». La France refuse, jusqu'à ce jour, d'ouvrir les archives militaires et la levée du secret-défense sur les essais nucléaires dans le Sahara. Cette ouverture, pourtant, permettrait d'évaluer les dégâts sanitaires et environnementaux causés par ces essais et explosions nucléaires. Une partie des archives a été ouverte en 1996, puis des dossiers ont été diffusés sur Internet (site du ministère français de la Défense) en 2007 et 2010. Mais, la loi de 2008 sur les archives les a classées dans la catégorie des archives «incommunicables». Selon Ammar Mansouri, chercheur au Centre d'études nucléaires d'Alger, «la France ayant tiré un grand profit de sa présence au Sahara entre 1962 et 1967, sera, avec le temps, contrainte de céder sur les archives du dossier des explosions nucléaires françaises au Sahara algérien (1960-1966) comme l'ont déjà fait auparavant les autres puissances nucléaires (USA, Royaume-Uni…)». Contrairement à ce dernier, Rachid Grim pense que la France ne cédera pas aussi facilement. «Seule une très forte pression des sociétés civiles algérienne et française, des ONG internationales qui militent pour les droits des victimes, celles qui se battent pour l'abandon du nucléaire, associée à une revendication toujours renouvelée des négociateurs algériens, pourraient un jour déboucher sur une victoire», soutient-il. Laxisme Le plus urgent pour le politologue est la reconnaissance par la France des dégâts causés à l'environnement et aux populations de la région. «La loi française du 5 juillet 2010 portant indemnisation des victimes des essais nucléaires français n'est pas totalement et intégralement applicable aux victimes algériennes. Il faut un véritable parcours du combattant à la victime algérienne», dénonce-t-il, faisant allusion au laxisme affiché par le gouvernement algérien quant à la défense des droits des victimes des essais nucléaires français. De l'autre côté de la Méditerranée, un dossier moins lourd, à savoir les «biens» des pieds-noirs occupe toujours le débat politique. Les associations de pieds-noirs continueront, en France, de peser de tout leur poids pour faire aboutir leurs revendications d'être, au minimum, indemnisés de ce qu'ils considèrent comme une spoliation. «Il y aura toujours un parti politique – si ce n'est un gouvernement – pour prendre en charge une telle revendication. Le dossier n'est donc pas près d'être clos», souligne Rachid Grim. Bien que des pressions bilatérales s'exercent des deux côtés, les dossiers sensibles ne semblent pas bouger d'un iota tant que les intérêts dits d'Etat continuent de primer au détriment du legs historique.