Inciter à un vote massif semble être le challenge lancé par le gouvernement algérien dans la perspective des prochaines législatives. Et les moyens ne manquent pas pour éviter l'abstention. Mettre la main à la poche ou prendre des mesures des plus clémentes aux plus coercitives, rien n'arrête la fébrilité des décideurs. Tous les moyens sont bons pour se refaire une virginité sur la scène internationale. Au moment où les Algériens affichent une désinvolture sans précédent vis-à-vis des joutes électorales, le gouvernement continue de monter tous les scénarios possibles pour éviter non pas la fraude, mais… l'abstention. Les atouts de nos gouvernants en matière de persuasion, par l'indulgence ou la force, se confirment de jour en jour. «Le vote est un acte obligatoire», semble être le message ou plutôt l'avertissement adressé par les responsables aux citoyens. Et pour convaincre ces derniers, rien de plus facile que de toucher là où ça fait mal. La cherté de la vie, le logement, la bureaucratie, et la liste de leurs malheurs est longue. La sensibilisation s'exerce, en la circonstance, à tous les niveaux du pouvoir. Le premier responsable du pays a d'ailleurs tenu à appeler les Algériens, lors de son dernier discours à la nation, à voter massivement: «Il nous incombe, tous ensemble, d'être à la hauteur de cette échéance décisive en votant massivement et de nous doter d'une Assemblée populaire nationale légitime et crédible», a insisté Abdelaziz Bouteflika. Mais sur le terrain, la «sensibilisation» prend une forme plus sévère. A Bou Saâda, à l'instar des autres villes du pays, retirer un certificat de résidence est un droit qui peut se retrouver au cœur d'une affaire judiciaire très complexe. Pas de carte, pas de papiers ! Meziane Liani, résident depuis plus d'une année à Bou Saâda, se retrouve victime d'un excès de zèle administratif. Lorsque le père de famille se présente à l'APC pour demander un certificat de résidence, le préposé lui exige son inscription sur le fichier électoral. Le SG de l'APC ne se montre pas plus «souple» que son subordonné et lui confirme la «condition sine qua non de présenter la carte d'électeur pour pouvoir obtenir le certificat de résidence». Face à l'obstination de l'administration, il décide de s'inscrire afin de retirer son document, mais sans pour autant aller voter. Comble du zèle, Meziane Liani essuie un refus catégorique. Résultat : il ne peut ni s'inscrire sur le fichier électoral ni obtenir le document en question. La victime saisit alors le tribunal de M'sila qui se déclare incompétent. Aujourd'hui, l'affaire est au niveau du tribunal des conflits et M. Liani n'a toujours pas son certificat de résidence. A Alger, c'est un journaliste résidant à Moretti qui se voit refuser la délivrance du certificat de résidence à l'APC de Staouéli. «Il m'a fallu faire intervenir une vieille connaissance pour me le faire délivrer, alors que la loi n'exige pas la carte d'électeur pour la livraison des documents», témoigne le journaliste. A Sétif, un jeune trentenaire se heurte également à la même fameuse condition lorsqu'il dépose son dossier, au niveau d'une des communes de la wilaya, pour bénéficier d'un logement. Les abstentionnistes punis Connaissant le préposé, ce dernier lui établit une carte sur place. Le jeune homme joint une copie de la carte d'électeur dans le dossier et déchire la carte originale par la suite. Tenant à sa décision de boycotter le scrutin, il s'adresse à la commune pour demander sa radiation du fichier électoral. Pourquoi ? «Parce que nous n'avons rien obtenu, ni ma famille ni moi-même, même pas un logement décent. Les députés ne nous représentent pas et ne transmettent pas nos doléances aux plus hauts responsables, alors à quoi bon voter pour eux ? Pour qu'ils se remplissent les poches ?», s'emportent le jeune Sétifien. Imposer ces mesures restrictives aux citoyens serait presque légal si l'on se réfère à la dernière sortie médiatique d'un… «défenseur» des droits de l'homme, en l'occurrence le président de la Commission nationale consultative de promotion et de protection des droits de l'homme (CNCPPDH). «Il ne s'agit pas de couper la tête des gens, mais bien de trouver des sanctions appropriées à ce comportement négatif», a déclaré Me Farouk Ksentini à l'adresse des abstentionnistes. Pour Me Noureddine Benissad, président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH), la réaction de Me Ksentini n'est pas justifiée juridiquement : «Du point de vue de la Constitution, le vote est un droit et un devoir. C'est au citoyen de choisir de voter ou de s'abstenir. On ne peut sanctionner l'abstentionniste. Il faut donner la liberté à chacun, sans pression physique ou morale», estime Me Benissad. C'est hallal dans les mosquées Redoutant un fort taux d'abstention, le gouvernement fait appel, comme de coutume, aux religieux pour lui venir en aide, quitte à enfreindre la loi qui interdisait, il y a quelques années, tout discours politique dans les établissements religieux. Depuis le début de l'année, le ministre des Affaires religieuses et des Wakfs, Bouabdallah Ghlamallah, a lancé une campagne de sensibilisation à travers les mosquées du pays afin de sensibiliser les citoyens pour accomplir leur «devoir national». Dispensés du service national De son côté, le ministère de la Défense apporte son soutien également pour éviter de provoquer la jeunesse algérienne, sur le qui-vive depuis plus d'une année. En effet, un décret présidentiel dispensant du service national les jeunes Algériens nés entre 1988 et 1989 serait signé incessamment par le président de la République, chef suprême des Forces armées, ministre de la Défense nationale. Relogement après le 10 mai Toujours sur ses gardes, le gouvernement fait de son mieux pour éviter la protestation. Les opérations de distribution de logements ont été reportées pour après les législatives. La question du logement, qui constitue depuis quelques années un dossier très sensible pouvant provoquer des émeutes très violentes, est ainsi mise de côté. Pas question d'ouvrir ce dossier à la veille du rendez-vous électoral. C'est le cas aussi des expulsions qui sont gelées jusqu'après le 10 mai. Rappel à l'ordre par SMS Même les opérateurs de téléphonie mobile mettent la main à la pâte, en harcelant environ 30 millions d'Algériens avec une série de SMS émanant du ministère de l'Intérieur. «L'inscription sur la liste électorale de votre commune de résidence vous permettra d'avoir votre carte d'électeur et voter lors des législatives de 2012», peut-on lire dans les messages, ou encore : «Voter est un acte de citoyenneté et de responsabilité.» Outre les SMS, les médias lourds jouent le jeu avec des spots pour le moins propagandistes. Tout prête à croire, selon les médias publics, que 100% de la population iront glisser leur bulletin dans les urnes, en marginalisant ceux qui ont décidé de faire valoir un de leurs droits, l'abstention.