L'auteur des célèbres Cahiers d'Orient revient dans sa ville de cœur pour nous raconter une histoire poignante. Dans Alger la noire*, Jacques Ferrandez, comme de coutume, nous plonge en nous-même avec un talent indécent de justesse. Coup de cœur d'El Watan Week-end. -Pourquoi ce titre, Alger la noire ? C'est le titre original du roman que j'ai adapté. Il fait, bien évidemment, allusion à Alger la blanche, expression habituelle pour désigner cette ville, puisque l'action y est située dans un contexte très sombre… -On remarque une lumière grise dans votre dernière œuvre, est-ce un choix artistique ? Il s'agissait justement d'évoquer cette période tragique, fin d'un monde, dans une ambiance de guerre civile. Je tenais à ce que les couleurs soient à l'unisson. Plus sourdes que dans les Carnets d'Orient. J'ai travaillé dans ce sens sur mes originaux et sur les fichiers numériques, en étant attentif avec l'éditeur au choix du papier, de façon à restituer cette ambiance. -Vous partez d'un double meurtre pour nous raconter une période trouble... En effet, dans le roman de Maurice Attia, c'est le point de départ de l'intrigue. Qui nous entraîne dans une période chaotique, entre OAS, FLN, barbouzes, dans une ville en état de siège, avec l'armée à tous les coins de rue, la police infiltrée par des éléments ripoux. Il y a aussi une galerie de personnages hauts en couleurs. Paco Martinez, jeune inspecteur de police, fils d'anarchiste espagnol, tué pendant la guerre civile d'Espagne par les communistes, croit-il selon la légende familiale, élevé par une grand-mère atteinte de sénilité. Choukroun, son partenaire, juif de Bab El Oued, inspecteur proche de la retraite, atteint d'un cancer de la prostate. -Que des personnages extraordinairement ordinaires ! Il y a aussi Irène, la maîtresse de Paco, rousse incendiaire et unijambiste suite à l'attentat du casino de la corniche en 1957. Thévenot, un vieux bourgeois pervers, cloué sur un fauteuil roulant suite à une balle perdue, peut-être tirée par son propre fils lors de la journée des barricades, et qui lui-même a entretenu des rapports très troubles avec sa propre fille, retrouvée assassinée en compagnie du jeune Mouloud. Hélène, sa jeune épouse volage qui tient un rôle très trouble, etc. Le tout dans un contexte historique très précis où tous les événements servent de trame à l'intrigue… C'est une histoire très dense et foisonnante, avec une violence et des passions qui passent aussi par des scènes de sexe assez explicites, dans un contexte où la mort est partout, Eros et Thanatos. -L'auteur a une histoire particulière... Il faut dire que Maurice Attia, l'auteur du roman est médecin psychiatre et psychanalyste… originaire lui-même de Bab El Oued. Il a bien a connu cette période, puisqu'il a quitté Alger en 1962, à l'âge de 13 ans. -L'écrivain Maurice Attia nous plonge dans un Alger schizophrénique. Comment avez-vous fait pour adapter son œuvre ? La difficulté était de réduire un roman de 400 pages en une BD de 128 planches ! Je me suis chargé de l'adaptation et j'ai soumis le scénario à Maurice, qui en a été satisfait, moyennant quelques petits aménagements lors de séances de travail en commun, pour resserrer quelques boulons et régler quelques détails… -Vous avez couvert l'évolution de l'histoire de l'Algérie. Comment définiriez-vous votre travail ? Bédéiste historien, historien bédéiste, mordu d'histoire...? C'est pour moi une vieille histoire, puisque je suis né à Alger, fin 1955, à Belcourt. Je me suis intéressé à ce sujet étant déjà auteur de BD, après quelques albums sur des sujets très variés et je me suis passionné pour cette histoire, dont je suis le produit en découvrant le travail des historiens, et les récits des acteurs et des témoins de toute la période, une véritable mine de scénarios. Je ne suis pas historien, mais en tant que raconteur d'histoires, je me suis passionné pour ce sujet en essayant d'éclairer toute cette période de l'histoire commune entre la France et l'Algérie et en l'adaptant à mon moyen d'expression, mêlant le texte et l'image qu'est la bande dessinée. -Allez-vous vous intéresser à l'histoire immédiate de l'Algérien après l'indépendance ? Ce n'était pas prévu au début, mais disons que j'y songe, puisque ce qui s'est passé tant en France qu'en Algérie après l'indépendance est tout aussi passionnant et peut être vécu par les personnages que j'ai laissés à la fin des Carnets d'Orient. -Pourquoi cet intérêt particulier pour l'Algérie ? J'y suis né, au moment où venait d'éclater une guerre qui ne disait pas son nom. La relation entre les deux pays est riche, féconde, parfois conflictuelle, mais toujours passionnante. Elle m'intéresse, encore aujourd'hui. Je vais régulièrement en Algérie depuis les années 2000. Je dois y retourner en octobre 2012 pour le FIBDA. Il est question que mes albums, déjà présents en importation, y soient publiés et même traduits en langue arabe par une maison d'édition algérienne. Ce qui permettra, je le souhaite, d'élargir un public déjà présent et dont j'ai pu constater la fidélité lors de mes précédents séjours… * Alger la noire, le roman est réédité en Algérie aux Edition Barzakh.