L'unique film algérien Le Repenti a créé un véritable engouement sur la Croisette. Projeté à la Quinzaine des réalisateurs, véritable coup de force, son auteur Merzak Allouache revient de loin et avec un cinéma aussi libre qu'inspiré. Entouré d'une troupe de comédien(ne)s, Allouache réussit enfin son pari de capter l'Algérie des années 1990 sans sombrer dans l'idéologie, voire le didactisme propre au cinéma politique. Pourquoi un film important ? Car depuis Omar Gatlato, c'est la première fois que Allouache prend le cinéma tel un complice qui l'accompagnerait dans les sphères les plus intimistes du trauma. Dilatant le temps, installant une scénographie aussi minimaliste qu'étouffante, chaque plan du film dégage une impression de culpabilité et d'humanisme à la fois. Ne jugeant jamais ses personnages, Allouache flirte avec une certaine fraîcheur et laisse transparaître dans son film une fenêtre ouverte sur une société dont il réussit, pour la première fois, à en extraire toutes les contradictions. Ovationnée, l'équipe s'est retrouvée – enfin – sous les projecteurs le temps d'une possible réconciliation cinématographique. En attendant sa prochaine projection pour la 10e édition des Rencontres cinématographiques de Béjaïa, il est étonnant que ce film n'ait pas été sélectionné pour la compétition officielle. Regrettable !
-A l'issue de la projection, votre dernier film, Le Repenti a reçu une surprenante ovation assez longue. A cet instant, comment vous recevez tout cela ? Comme disent certaines de mes connaissances, c'est une sorte de retour. Dans ma vie, je me souviens du même effet, comme par exemple avec Omar Gatlato que j'avais présenté ici à la semaine de la critique, ou avec Bab el Oued city, toujours à Cannes. Je suis content par rapport à ce film qui est pour moi un miracle. Normal et Le Repenti sont des volontés de foncer, de ne pas perdre de temps, sans doute qu'il ne m'en restera pas suffisamment. Aujourd'hui, je constate qu'il reste encore à faire en Algérie et quand je vois ces jeunes, je suis assez triste de leur situation. Cette nouvelle génération nous en veut même si la mienne n'existe pratiquement plus. Il manque une transition, celle des années 90 et qu'on n'a pu toucher. Pour moi, j'attends avec impatience de voir les films de ceux et celles qui ont maintenant 18ans. Je suis content de cette reconnaissance tout en sachant qu'elle peut créer encore plus de haine et de rage à mon égard et ce en Algérie. Je ne peux me l'expliquer. J'essaie d'éviter de penser à ça. Je refuse la mesquinerie et je ferais un film quoiqu'il arrive, même si je dois tourner dans les égouts. Sauf si je vais en prison ou je suis malade. Pour finir, je suis content de cette reconnaissance car cela m'a permis de venir, accompagné de tous ces comédiens. C'est très important pour eux, et donc pour moi -Vous évoquiez votre précédent film, Normal, et je pense d'emblée à l'une des phrases qui donne une ligne conductrice, celle où l'un de vos personnages dit : « Je ne sais plus filmer les choses ». -Ce qui m'amuse, c'est que lorsque je lui faire dis ça, j'avais déjà, personnellement, écrit le scénario du Repenti. Je sais dorénavant ce que je veux filmer de l'Algérie. Je vois les choses autrement. J'ai tous pleins de films en tête. Je ne suis pas comme ce personnage, par contre, quand je croise de jeunes réalisateurs, l'envie me prend de vouloir les secouer et leur dire : « Quand tu sors sur Alger, tu as 15 films, 15 idées devant toi. N'attendez plus des subventions, arrêter de penser 35mm, faites-vous prêter de l'argent, faites des films ! ». Pour Le Repenti, j'avais moi-même effectué une demande en bonne et due forme d'une subvention auprès du FDATIC. Cela m'a été refusé et notifié sur une lettre surprenante. Elle disait : « Malgré un scénario et des dialogues intéressants, la commission a décidé de ne pas aider le film car elle trouve une certaine ambiguïté dans le traitement de l'histoire et au niveau du titre ». A l'époque, le film s'intitulait encore Le Temps de la Concorde ?, et il me reprochait aussi d'être un adepte du « Qui tue qui ? » et surtout que dans Harragas, j'avais dessiné un personnage de policier véreux. J'avais été puni ! Vous savez, la seule façon pour moi de réagir est de « transformer la haine en énergie ». Cette phrase, je ne l'ai pas inventée, elle vient de Ho Chi Minh ! Quand j'ai lu cette lettre, je me suis dit : « je vais tourner ». A l'époque, je n'avais pas encore filmé la seconde partie de Normal, ma réponse à cette lettre se trouve dans cette ladite partie. -Y a-t-il eu des concours de circonstance ? Effectivement. Avec Normal, j'ai eu un prix et de l'argent. Je m'en suis servie et l'ai déposé sur un compte en Algérie. A Doha, j'avais dit à mes comédiens que j'utiliserais cette somme pour tourner Le Repenti. J'ai repris la troupe des comédiens, excepté Najib Oulebsir qui m'a assisté pour le film et j'ai proposé à Khaled Benaissa de nous rejoindre. Quand j'avais projeté mon film à Oran, le lendemain j'étais parti en repérages. Durant le tournage, je me suis fait aider par tout le monde, les villageois, les gendarmes, on a certes tourné dans une urgence, mais organisée. Je pense que la nouvelle génération devrait tourner dans cette configuration. -Cette troupe s'est révélée être un bol d'air frais dans votre cinéma. J'ai l'impression que vous les avez bien observé et que quelque chose s'est produit dans votre perception du cinéma. Ils ne sont pas formatés, ils ont « faim » et parfois cela leur coûte. Adila, par exemple, se fait souvent insultée. Maintenant, je sais d'où ils viennent, du théâtre, je les vois parfois à la Télévision, leurs films sont académiques, comme j'ai pu l'être depuis ces dernières années. Sur ces deux derniers films et sur ce que j''ai envie de faire prochainement, c'est de réussir à sortir d'une certaine bureaucratie de cinéma. Elle commence à m'étouffer tout en me donnant l'occasion d'apprendre à tourner vite. Par exemple, les téléfilms que j'ai pu faire. Je ne veux plus enlever des choses dans le scénario, je ne veux plus tourner plusieurs fois la même prise, je ne veux plus montrer une première version au montage pour des raisons qui me dépassent. J'essaie maintenant de faire un cinéma en liberté, comme je l'ai fait dans Omar Gatlato et surtout dans mes premiers courts-métrages. Je sortais d'une école avec Farouk Beloufa et nous étions en révolte contre le cinéma de guerre. On voulait un cinéma populaire, un cinéma qui ne se prend pas au sérieux. Maintenant, je veux retrouver cette ambiance. C'est ce qui compte pour moi aujourd'hui ! -Dans Le Repenti, vous étirez souvent le temps et cela donne une construction de plans assez rare dans votre filmographie ? C'est le cinéma que j'ai toujours eu envie de faire. Harragas, je regrette de n'avoir pas tourné ainsi. J'aurais dû prendre une petite caméra, m'installer dans cette barque et ne filmer que ça. J'aurais traversé la Méditerranée et je suis certain d'avoir eu au final un très beau film. Je regrette certains films, ils existent, mais maintenant, je veux faire autre chose.