- Le patrimoine forestier dont dispose l'Algérie est-il en mesure de contribuer au développement de l'économie rurale et quels sont les principaux produits ayant plus de potentialités ? Le rôle du secteur forestier dans le développement de l'économie rurale s'explique par sa présence et ses missions qui animent et alimentent en progrès technique les activités humaines des populations rurales et divers projets de développement dans des zones généralement éloignées, de montagne ou désertiques. Le premier produit est l'arbre forestier qui a un rôle économique en fournissant du bois d'œuvre de qualité, un rôle écologique en protégeant le sol, en produisant de l'oxygène, piégeant le carbone et un rôle paysager en permettant un agréable accueil aux amis de la nature. Parmi les principaux arbres autochtones ayant plus de chance à se renouveler, sans accidents sanitaires, à moindres investissements et jouant un rôle économique, on peut citer le cèdre et le chêne-liège. Il y a des essences allochtones introduites ayant un important rendement ligneux qu'il faut utiliser judicieusement sur des surfaces limitées et maîtrisables en cas d'accidents phytosanitaires. Ce ne sont que des exemples, on peut citer aussi le châtaignier, car le principe consiste à opter pour une essence en tenant compte de son adaptation au milieu, de sa possibilité de se régénérer et surtout de répondre à un besoin socioéconomique. Le caroubier est intéressant pour la phytopharmacie et avec le févier d'Amérique pour un appoint d'alimentation du bétail, sachant que le premier est littoral et craint les gelées, tandis le second supporte le froid hivernal. J'estime que le service forestier aidé de l'institut national de la recherche forestière est en mesure de répondre à ces demandes.
- Y a-t-il une politique adéquate et conséquente pour le développement du secteur des forêts en Algérie ? Il y a une politique qui est déjà mise en place par le secteur forestier lui-même. Toutefois, le secteur devrait être renforcé en moyens humains et financiers afin de permettre la mise en place des aménagements sylvicoles des peuplements forestiers en favorisant leur régénération naturelle, leur extension et leur préservation des incendies, des parcours et prélèvements illicites. Si nous nous situons en gestion durable, il ne faut pas oublier que le patrimoine forestier s'est relativement dégradé par des incendies et des surpâturages et que des efforts particuliers sont indispensables pour sa restauration. Le renouveau rural est important et prioritaire, mais nous n'oublions pas les laborieuses populations urbaines qui ont légitimement besoin de forêts suburbaines et des paysages reposant le long des grands axes routiers. Cette politique mérite d'être poursuivie et étendue à travers le territoire national y compris les villes sahariennes en évitant d'utiliser des essences génétiquement polluantes. On utilisera les acacias autochtones pour la région saharienne par exemple. Pour un développement rural durable et pluridisciplinaire, il est utile que le gestionnaire s'entoure, en permanence et de manière organisée d'une structure de conseil et de concertation regroupant, en bonne gouvernance, les concernés et intéressés: scientifiques, producteurs, formateurs, etc.
- La politique du renouveau agricole et rural menée depuis 2008 répond-elle d'une façon concrète aux attentes du secteur en termes de protection et de mise en valeur des potentialités ? Le renouveau agricole qui fixe les populations rurales permet de limiter les pressions sur la forêt. En si peu de temps on ne peut qu'encourager les efforts déployés tout en rappelant que le côté sylviculture doit être activé conjointement avec les activités agroforestières et rurales. Ces différentes activités humaines gagneraient à être soumises à un inventaire des besoins et des contraintes prévoyant une concertation entre le forestier et les utilisateurs de la forêt pour l'application durable du plan d'aménagement de la forêt qui nécessite un cadre de transparence pour le respect de la loi par tous et des compensations réglementées en cas de conflit légitime au profit du riverain. La forêt devrait être le refuge spirituel offrant des points d'eau, du travail, des pistes, des enclos et des parcelles fourragères pour les troupeaux. Nous rappelons que le surpâturage est dénoncé par les forestiers depuis plus d'un siècle au Maghreb et en Méditerranée occidentale, mais il perdure.
- Quels sont les principaux défis auxquels est confronté le patrimoine forestier en Algérie ? En premier lieu, il y a nécessité de mettre en place une gouvernance favorisant la sauvegarde de la forêt nationale, méditerranéenne et saharienne. Il faut aussi mettre en place un observatoire de la forêt algérienne regroupant les gestionnaires, chercheurs, formateurs, agents économiques et représentants de la société civile. Le surpâturage désorganisé, mené souvent sans propriétaire identifié est particulièrement dégradant et épuisant pour la forêt. Pour en finir avec cette lacune, il faut garantir une offre fourragère immédiate et permanente à la hauteur des besoins exprimés alors que le troupeau national (le cheptel, ndlr) doit être soumis à un règlement pastoral instaurant la discipline. Les troupeaux de bovins en forêt dans l'Atlas tellien ou les Aurès, par exemple, sont sous-alimentés, parce que la forêt ne peut répondre à leur besoin fourrager. De ce fait, les bêtes parcourent, en s'épuisant, de grandes surfaces qu'elles dégradent. Elles sont souvent attaquées par des maladies, des parasites et souffrent d'un manque de contrôle et soin vétérinaires. L'élevage bovin convient en zones subhumide et humide localisées au nord du pays, mais les zones les plus arrosées, recevant entre 800 et 900 mm de pluie, sont situées en haute montagne avec des pentes de l2 à plus de 25%. Il est temps de réorienter le troupeau national vers des prairies et des parcours aménagés. Nous recommandons aussi de diviser le territoire national en zones écologiques qui sont déjà connues. Les Etats-Unis sont le rare pays ayant opté pour cette répartition en zones spécialisées auxquelles sont rattachées les universités et institutions de recherche spécialisées. Pour ce faire, nous en avons les moyens. Il est temps de commencer. Il y a aussi d'autres défis, comme la préservation de la biodiversité faune-flore ou la prévention de la pollution génétique des forêts sahariennes endémiques par des espèces introduites.
- Depuis quelques années, le gouvernement tente de réhabiliter le barrage vert pour atténuer l'avancée du désert, pensez-vous que l'opération puisse être concrétisée ? Peut-il y avoir d'autres alternatives pour endiguer la désertification ? Chercheur forestier, j'avais inscrit une fiche de crédit dans le premier plan quadriennal 1970-1974, pour solliciter une étude visant à recouvrir l'atlas saharien de son manteau forestier original en vue d'alimenter par les eaux de pluie les nappes phréatiques au nord du Sahara avec l'idée de développer l'agriculture saharienne qui commençait à être appliquée à la base de Hassi Messaoud. Le barrage vert qui avait commencé à cette époque sous la direction du ministère de la Défense contribue, en partie, à la lutte contre la désertification se manifestant essentiellement dans la frange aride et semi-aride soumise au surpâturage accentué depuis les années 1970 par la sécheresse. Depuis, de brillants chercheurs algériens ont établi l'historique, l'itinéraire et le bilan technique de ce projet qui, à mon avis, a abouti graduellement à un résultat positif malgré des erreurs de terrain. Il reste l'unique expérience dans la région méditerranéenne et aujourd'hui il mérite d'être repris avec les cadres, les universités et les chercheurs que nous n'avions pas en 1970. C'est un ouvrage qui sera d'une grande utilité sachant qu'il faut ouvrir d'autres fronts écologiques pour lutter efficacement contre l'avancée du désert. Là aussi, la gestion des pâturages de camélidés et autres troupeaux nomades est à programmer à la fois dans la gouvernance, la discipline et l'intérêt de la nation.
- Dans le Sahara, les besoins en eau sont couverts exclusivement pas les ressources souterraines, mais selon des travaux de recherche, la surexploitation de ces nappes véhicule des dangers en favorisant les remontées de sel et la baisse de fertilité des sols. Cependant, ces nappes sont fossiles. Partagez-vous cette thèse ? La nappe fossile saharienne se situe à 1220 m de profondeur à Hassi Messaoud. Elle est plus ou moins profonde ailleurs. Son eau est excellente, mais arrive chaude en surface. On utilise des systèmes de refroidissement aériens pour réduire sa température autour de 20°c, acceptable par la végétation comme le palmier dattier par exemple. Les autres nappes phréatiques et non fossiles sont faiblement alimentées par des oueds souterrains provenant pour la plupart de l'Atlas saharien que nous souhaitons reboiser par le barrage vert. L'utilisation d'eau saumâtre en agriculture nécessite un système de drainage nécessitant obligatoirement un entretien régulier. Il y a des plantes adaptées à différents taux de chlorures de sodium. Il est recommandé de n'apporter à ces plantes que le volume d'eau et en période nécessaire selon l'état phénologique de la plante.