A l'opposition de plusieurs pays arabes, la Libye n'a pas connu, avant-hier, de manifestations contre la vidéo produite aux USA et portant atteinte au sacré. Tripoli (Libye) De notre envoyé spécial Le pays vit encore sous le choc de l'attentat de Benghazi contre le consulat américain. Le président du Conseil national général, Mohamed Megaryef, a même exploité cette journée de repos pour aller se recueillir sur les lieux du «crime» et accuser directement le mouvement Al Qaîda d'être derrière cet acte «terroriste et barbare». C'est donc le vent de condamnation de cet acte «ignoble» qui l'a emporté en Libye et a fait passer au second plan cette histoire de vidéo. Plusieurs organisations de la société civile ont même commencé une campagne contre la pensée djihadiste totalitaire depuis mercredi dernier, 12 septembre, avec les deux manifestations sur la place d'Algérie à Tripoli et sur la place des martyrs à Benghazi pour condamner le terrorisme. «C'était une première en Libye où l'on descend spontanément dans la rue contre les djihadistes qui prêchent la haine entre les peuples et entre les citoyens d'un même pays», remarque l'avocate de Benghazi Amel Myiguis, celle qui a été la première femme à rejoindre la révolution le 17 février 2011. «La manifestation de Benghazi était vraiment spontanée», précise-t-elle. Depuis, les organisations de la société civile ne cessent de coordonner leurs actions et plusieurs autres marches ont été organisées dans le même cadre. Tripoli a connu d'autres manifestations jeudi 13 et vendredi 14. En plus, les réseaux sociaux s'enflamment contre les djihadistes. Des clichés de ces défilés ont été compilés sur le compte facebook «The sorry project» (le projet pardon), en mémoire de l'ambassadeur américain, Chris Evens, créé par un groupe intitulé «les Libyens contre le terrorisme». Le compte de photographes «Martyrs square media» a, lui aussi, mis en ligne plusieurs albums photos de manifestations «contre l'extrémisme», dont celle de jeudi dernier sur la place des Martyrs à Tripoli. Plusieurs blogueurs et organisations ont condamné cet acte barbare et appelé à coordonner la lutte contre le terrorisme. Prise de conscience citoyenne Cette montée en bloc de la société a fait que Hani Mansouri, un représentant d'Ansar Al Charia, le mouvement islamiste mis en cause, a tenu une conférence de presse à Benghazi et nié toute implication dans l'attaque. Il a en outre imputé la responsabilité des troubles aux gardes du consulat. «Il s'agissait d'une manifestation pacifique et les tirs en direction des manifestants ont envenimé la situation et en ont modifié le cours», a-t-il affirmé. C'est dire la puissance de la société civile, même contre le lobby des djihadistes. En plus de son manque d'expérience, en raison de l»absence d»une quelconque ouverture sous le dictateur déchu, ne dispose pas de programmes bien ficelés. «Si on continue à travailler sans objectifs précis et préétablis, on ne peut extirper les maux ayant affectés notre société durant des décennies», lance la jeune Amira Sallek, 26 ans licenciée de droit, qui dirige une Organisation non gouvernementale (ONG), Chabab Libya Al Horra, installée à Benghazi et spécialisée dans la formation des encadreurs. «Les militants associatifs sont certes nombreux, mais la société civile ne fait que commencer à s'organiser sur le terrain, en opposition avec les djihadistes et autres groupes radicaux qui font beaucoup de communication sur leurs actions à caractère social et pénètrent au fond de la société», ajoute-t-elle. Pourtant, remarque-t-elle, «les associations populaires, de par leur proximité avec les citoyens, traduisent mieux les intérêts du peuple. C'est pourquoi elles doivent être associées à la prise de décision et avoir leur mot à dire dans les problématiques touchant l'avenir de notre pays. Sinon, ce n'est que la tête du pouvoir qui va sauter et une nouvelle dictature pourrait se substituer à El Gueddafi, peut-être même plus dure si elle s'idéologise». Les islamistes radicaux s'en lavent les mains Ce même souci de résultats est constaté chez Bourhane Fitouri, rencontré sur la place d'Algérie à Tripoli, lors de la manifestation condamnant l'attaque du consulat américain. Ce jeune pharmacien de 35 ans, qui a passé une formation de cinq jours sur le mode d'observation des élections à Paris, pense que «les fonds internationaux existent en pagaille, mais ce sont les programmes qui ne sont pas coordonnés ni bien élaborés pour répondre aux besoins de la société libyenne. Américains, Européens, pays nordiques, Chinois, Coréens, Japonais et Turcs sont passés par là des dizaines de fois. Ils ont également organisé des dizaines de sessions de formation pour nos jeunes à l'étranger. Je leur reproche toutefois cette absence de coordination et une méconnaissance de l'état des lieux pour proposer des formations porteuses de réponses aux besoins des Libyens». «Ce handicap de taille a fait que l'on propose les mêmes programmes, que l'on fait appel aux mêmes personnes, ce qui ne sert nullement l'intérêt de la société libyenne, en plus du fait qu'il n'y ait pas d'évaluation globale de ces actions. Ceci fait que l'on est moins efficace que les radicaux qui font un ratissage plus systématique de la population», constate-t-il avec amertume. Une organisation à revoir «Les craintes de ces jeunes m'ont rappelé des propos que m'avait confié Mahmoud Jibril à Zentane, alors qu'il commençait, en novembre 2011, son périple à travers la Libye pour mettre sur pied les premières structures de son ‘alliance des forces patriotiques'». «Les partis se proclamant de l'islam politique n'ont pas davantage de sympathisants que nous. Ils sont juste mieux organisés», avait-il alors dit. Aujourd'hui, cette organisation a fait encore défaut au camp libéral qui a été piégé au Congrès national général lors des élections du Premier ministre. Mahmoud Jibril n'a pas été choisi malgré le raz-de-marée populaire dans les urnes. «Cela ne veut nullement dire que ces forces sont en dehors de la course. Loin de là, cette position d'observateurs peut aider l'alliance de Jibril lors de la prochaine élection qui n'est que dans une année et elle peut facilement rééditer le coup du 7 juillet, surtout si elle s'installe à l'échelle populaire à travers des associations», remarque le doyen de la faculté de droit de Benghazi, Suleyman Brahim. «Il faut organiser la pression populaire à travers la société civile», dit-il. «Les ONG ne sont pas prisonnières des mêmes calculs politiques que les partis. Elles peuvent mieux réussir», conclut-il.