Le roman Un Sultan à Palerme, de Tariq Ali, publié en juin dernier par APIC éditions, se lit d'une traite. Dès que le lecteur plonge dans les premières pages, il ne lâche plus son ouvrage tant le récit est captivant. Tariq Ali, un romancier pakistanais, natif de Lahore, visite la biographie du célèbre géographe arabe Muhammad Al Idrissi, brode autour d'elle, en lui rajoutant ces enjolivures nécessaires aux exigences de l'écriture romanesque, mais sans sacrifier le réalisme en se basant probablement sur la recherche documentaire, et nous donne à savourer, non pas seulement une histoire prenante mais également un beau poème en prose. La démarche romanesque a ceci de licencieusement avantageuse : elle permet à l'auteur, qui ose aller au-delà des tabous quitte à bousculer les barrières érigées par les religions, de nous révéler des dessous que les convenances d'une morale pudibonde interdisent de laisser entrevoir.Tariq, à ce propos, ne bride son imagination par aucune limite, si ce n'est celle de cet art de l'écrit qui lui permet d'éviter de tomber dans la vulgarité, tout en restant dans les véritables mœurs des hommes. En d'autres termes, l'auteur ne censure pas le vécu de la société dans laquelle il situe son récit. Al Idrissi a vécu à Palerme, en Sicile, au XVIIe siècle, et Tariq Ali situe les événements relatifs à la vie de son héros autour des années cinquante de ces décades du Moyen-âge. Cela faisait alors un peu plus de soixante ans que l'île avait été reprise aux conquérants arabes, qui y avaient développé, depuis plus de deux siècles, une société brillante, fière de ses réalisations savantes, dont le géographe Al Idrissi fut un symbole porté au firmament. Les Normands, des gens d'armes qui bousculèrent rapidement en 1091 les émirs de l'île ramollis par leurs privilèges, s'installèrent à Palerme mais ne chassèrent pas les populations musulmanes, qui faisaient la richesse de la Sicile. Le roi Roger, sultan Rujari en arabe, assura sa protection aux non-chrétiens (musulmans et juifs) et permit même le maintien de plusieurs émirats (Syracuse, Catane, Noto…), comme il eut pour collaborateurs - y compris pour le seconder dans la gestion du royaume - des musulmans à l'exemple de Philippe Al Mahdia ou le sage géographe Al Idrissi. Tariq a eu l'intelligence narrative de faire découvrir une société sicilienne telle qu'elle était et non comme auraient voulu la montrer certains idéologues de l'Islam officiel. A des personnages comme Al Idrissi et ses maîtresses est attribuée, par exemple, une sexualité aussi débordante que décomplexée. Certains acteurs du roman, à l'image de Philipe Al Mahdia sont, pour leur part, donnés en exemples de courage, d'honnêteté et d'attachement aux valeurs humaines. D'autres peuvent au contraire être malhonnêtes, lâches ou encore cupides et dévorés d'une malsaine ambition… En somme, l'auteur d'Un Sultan à Palerme nous brosse le portrait d'une société plurielle avec ses chrétiens, ses musulmans et ses juifs, mais aussi avec ses forces et ses faiblesse. C'est également une société de catégories différentes : des seigneurs et des paysans, des maîtres et des esclaves, des eunuques et des harems pleins de concubines. Nous avons là aussi l'histoire d'un grand savant qui a été l'ami et le confident d'un roi, grâce au soutien duquel il a pu enrichir sa science et réaliser l'œuvre de toute une vie. Ce genre de relation peut réserver des surprises et Al Idrissi en a eu… Un Sultan à Palerme est le premier roman d'un «Quintet de l'Islam». A espérer que les quatre autres : Le livre de Saladin, puis L'Ombre des grenadiers ainsi que La Nuit du papillon et enfin La femme de pierre seront prochainement publiés par APIC. Tariq Ali. Un Sultan à Palerme, APIC éditions, Alger, juin 2012. 280 pages. Prix : 700 DA.