C'est El Marka, près d' Amman, que les islamistes ont choisie pour haranguer les foules et décrier le royaume pour ses méthodes répressives. Jordanie. De notre envoyé spécial Le mouvement islamiste de Jordanie a investi, hier après-midi, la rue pour brocarder le gouvernement et les forces de sécurité, et réclamer la libération des détenus et la «réforme du régime». Comme chaque vendredi, les ouailles du parti des Frères musulmans (Ikhwan) se sont passées le mot d'ordre de sortir leur attirail protestataire juste après cette prière hebdomadaire dans toutes les villes du royaume. Ici à Amman, c'est la localité d'El Marka, située à environ 5 km à l'est de la capitale, que les Frères ont choisie pour y haranguer les foules et se défouler, à coups de slogans et autres jurons contre les autorités. Le quotidien Essabil, porte-voix du mouvement des Frères musulmans, s'est réservé une demi-page de son édition d'hier à cet appel à manifester. Les «partis islamistes et les mouvements populaires» ainsi que les «familles des détenus» sont invités à aller massivement à la marche devant s'ébranler de la mosquée Hamza Banou Abd El Moutaleb jusqu'au siège de la fameuse Cour de sûreté de l'Etat, la bête noire des Frères musulmans. Leur slogan ? «Pour abattre l'holocauste de la sûreté de l'Etat !». Nouvelle démonstration de force contre un gouvernement décrié pour ses méthodes répressives. Cet appel n'est évidemment pas tombé dans l'oreille d'un sourd. Ladite mosquée a été quasiment quadrillée par un dispositif impressionnant des forces combinées de la police et de la gendarmerie. Boucliers en avant, matraques en main et casques bien vissés, des colonnes des forces antiémeute (qui ressemblent aux nôtres) ont barré l'avenue du roi Abdallah à 100 m du siège de la Cour de sûreté de l'Etat (tribunal militaire). Des hauts gradés de la police et de la gendarmerie, tenue flambant neuf, ont la bouche collée au talkie-walkie. La prière, puis la révolte Ils tentent de trouver les bons placements pour maîtriser la foule qui ne tardera pas à se déverser sur l'avenue principale au sortir de la mosquée. Une meute de reporters venus de plusieurs pays, caméras au poing, prend d'assaut la façade de la mosquée pour immortaliser la sortie des «Ikhwan». Juste à côté, juché sur un camion orné de haut-parleurs et d'affiches, un groupe de militants chauffe les passants et ceux qui se dirigent vers la mosquée. Parfois, les clameurs qui fusent du camion rendent inaudible le prêche de l'imam. «Normalement c'est «haram» (péché) que l'ont crie quand l'imam fait son sermon…», glisse, discrètement, un homme d'âge moyen, qui ne partage visiblement pas grand-chose avec les Frères musulmans. Le silence revient tout de même pour permettre à l'imam de terminer son sermon et la prière du vendredi. Et son fin mot n'a pas dû plaire aux «Frères» qui s'apprêtent à battre le pavé, défiant les autorités, y compris le roi. «Puisse Dieu guider les pas de notre bien-aimé sa majesté le roi dans sa volonté de faire en sorte que la Jordanie se développe et soit prospère sous sa conduite éclairée.» Cette ultime prière de l'imam a sans doute contrarié les «priants-manifestants» qui auraient voulu qu'il leur donne un coup… de voix, faute d'un coup de main. En signe de dépit, c'est à l'intérieur même de la mosquée que des «Allah Akbar !» (Dieu est grand) fusèrent bruyamment sitôt que l'imam a terminé la prière. Stupeur dans la salle. Certains rechignent à quitter l'endroit de peur que les choses dérapent. A l'extérieur, des centaines de personnes reprennent à pleine gorge : «Allah Akbar !» Mouvement de foule suivi d'un branle-bas de combat des forces antiémeute qui ceinturent complètement le périmètre. Les islamistes et leurs troupes sortent de la mosquée et se massent derrière le camion devant servir de «guide». «à bas le pouvoir militaire !» «Que le pouvoir militaire tombe !», «Nous ne voulons pas de gratifications royales mais la liberté !», «Li yasqout Amn Edowla» (A bas la sûreté de l'Etat !)… Ces slogans entonnés rageusement par un meneur juché sur le camion ont tôt fait de mettre la foule en délire. Les slogans hostiles au gouvernement, aux forces de sécurité, au moukhabarate et même quelquefois au roi, sont repris en chœur par une foule déchaînée, qui venait pourtant juste d'écouter un sermon prêchant la tolérance et le respect.
Et à mesure qu'elle progresse vers l'avenue du roi Abdallah, la foule grossit et les badauds affluent aussi sur les deux côtés de la rue. «Echâab yourid isqat Al Aâsker !”, tonne une nouvelle fois le «chauffeur» des troupes. «Echâab yourid Isqat Al Ikhwan !», réplique aussitôt une grappe de jeunes, voire d'adolescents, visiblement «recrutés» pour chahuter la marche. Pour cause, ils sont bien encadrés par des policiers qui échangent ostentatoirement le sourire avec ce petit groupe de 30 garçons qui portent l'emblème de la Jordanie et les portraits du roi. Certains flics proposent même des slogans à crier contre les «Frères». Ces derniers qui sont visiblement habitués à ce spectacle entonnent, chemin faisant, un chant dénonçant les «baltaguis» et les forces de sécurité qui les font «travailler». 14h10. (12h10, heure algérienne). Nous sommes à quelque 60 m de la «cible» des manifestants, à savoir le siège de la Cour de sûreté de l'Etat. La tension monte d'un cran. Les éléments des différents corps d'intervention vont dans tous les sens. On craint que la marche ne déborde et atteigne le QG des moukhabarate, comme on dit ici. Le combat continue… Un haut gradé de la police, bardé de médailles et autres distinctions colorées sur la poche de sa chemise bleue, sermonne à haute voix ses troupes. Une rangée d'éléments des forces antiémeute, prêts à faire le (sale) boulot, barre la route de la cour comme un dernier rempart. Le camion des manifestants s'arrête net au milieu de la route. Par moments, on était à deux doigts de l'affrontement. Mais cette fois les Frères musulmans, qui n'ont pas rassemblé des milliers de personnes, soit dit en passant, ont décidé de ne pas tenter le diable. En désespoir de cause, ils se sont contentés de continuer pendant une vingtaine de minutes à haranguer la foule à coups de slogans tirés du répertoire bien connu des Ikhwan ici en Jordanie. «Despote, pourquoi toi tu vivras et moi je meurs !» et «La walâa, la initmâa, ila li Rabbi El Alamin» (Pas d'allégeance, pas d'appartenance que pour Dieu), ou encore, «A bas Abdallah Enssour» (le Premier ministre), «la solution est dans le dialogue est non pas par des arrestations». Ces slogans sont lancés depuis le fameux camion et suivis par de bruyants «Allah Akbar !». Cette marche de 60 m qui a duré un peu plus d'une heure, s'achève ainsi par un appel au calme, au grand bonheur des policiers qui n'ont pas été obligés de sortir la grosse artillerie, comme ce fut le cas le 13 novembre dernier. Mais ce n'est que partie remise puisque les Frères musulmans qui se sont tout de même félicités de leur manifestation, se donnent rendez-vous aujourd'hui dans une autre localité de Amman après la prière d'El Asr. Pour les islamistes de Jordanie, le combat pour la réforme du régime continue…