Rencontré en marge de la 10e conférence de la Cnuced sur le négoce et le financement des hydrocarbures en Afrique, qui se tient depuis dimanche à Alger, Nicolas Sarkis aborde la nouvelle position de l'Afrique sur le plan énergétique et sur le marché pétrolier de manière générale. Quelles sont vos impressions sur la conférence ? Ce genre de conférences est non seulement important, mais indispensable en ce sens où elles rassemblent l'ensemble des pays africains et permettent à chacun d'entre eux de parler de sa propre expérience et de ses problèmes. Cette conférence est aussi importante parce qu'elle parle du continent africain, qui de plus en plus connaît un intérêt croissant de la part de la communauté internationale et de la part des sociétés pétrolières pour des raisons, je dirais, très évidentes. Il y a une demande mondiale sur l'énergie, pétrole et gaz entre autres, qui augmente rapidement. Il est normal que les regards se tournent vers les régions qui recèlent ou supposées receler des réserves et des potentialités considérables. L'Afrique est parmi ces régions. C'est un continent qui reste largement inexploré ou peu exploré. Ce qui arrive depuis les 10 dernières années montre bien que l'Afrique est à la hauteur de ses promesses compte tenu de l'augmentation rapide des réserves et de la production. C'est l'un des rythmes de production les plus forts au monde. Bref, il y a un intérêt considérable pour les Africains. Le pétrole africain représente aujourd'hui pour pas mal de sociétés internationales leur première source d'approvisionnement en pétrole. L'Afrique recèle, comme vous le dites, d'énormes potentialités énergétiques, mais c'est le continent où le niveau de consommation d'énergie est le plus faible au monde. Comment, selon vous, les Africains peuvent-ils tirer profit de leurs ressources énergétiques ? Les besoins des pays consommateurs pour le pétrole et le gaz africains n'ont de commune mesure que le besoin de l'Afrique pour son propre pétrole et son propre gaz. C'est la raison pour laquelle on peut dire que le développement de l'industrie pétrolière en Afrique est plus qu'utile pour le marché mondial, comme c'est très utile aussi pour les pays africains eux-mêmes dans la mesure où cela va permettre de mettre en valeur leur propre richesse et s'enrichir avec. De manière générale, la consommation énergétique en Afrique est effectivement la plus faible au monde, elle ne dépasse pas 0,8 baril par an d'équivalent en pétrole. 0,8 baril par an et par tête d'habitant alors que chaque Américain consomme 30 barils par an d'équivalent pétrole, soit 30 fois ce que consomme l'Africain. Il y a beaucoup à faire dans ce domaine. En développant donc une industrie pétrolière, cela permettra à l'Afrique de bénéficier de ses richesses découvertes et exploitées, mais aussi de bénéficier de sources de revenus plus importantes. D'où viennent ses revenus ? Ils viennent de deux principales sources. Premièrement de l'exploitation du pétrole et du gaz qui augmentent le niveau de la production et la deuxième source de revenus dont on ne parle pas assez, ce sont les investissements considérables qui sont faits en Afrique pour justement permettre de développer la production. Certains experts pétroliers prédisent une chute inévitable des prix du pétrole. Partagez-vous ce point de vue ? C'est un point crucial, parce qu'il y a beaucoup de choses qui sont dites et beaucoup de confusion. Il y a deux choses à retenir. Premièrement, le pétrole n'est pas une marchandise comme les autres. C'est une matière première épuisable. Il y a plusieurs pays producteurs qui ont déjà atteint le maximum de leur production et où la production a commencé même à décliner de manière irréversible. C'est le cas des Etats-Unis en premier, de l'Indonésie, de l'Egypte et j'en passe. Les pays qui possèdent cette richesse n'ont pas le droit de l'exploiter plus rapidement, de s'en servir pour les générations actuelles, et laisser les générations futures. Il faut gérer cette richesse de manière à laisser quelque chose aux générations futures. La deuxième chose qui est aussi capitale, c'est que le marché pétrolier n'est pas un marché libre. Ce n'est pas vrai. Ce n'est pas soi-disant la règle de l'offre et de la demande. Le marché, il faut le réguler. Sinon, si le marché pétrolier était complètement libre, cela ferait très longtemps que le pétrole serait vendu à 10 dollars le baril. On aurait alors dilapidé nos réserves à des prix ridiculement bas. On aurait préparé non pas un choc, mais un électrochoc, une catastrophe sur le plan pétrole. La question des prix du pétrole est une question de rapport entre pays producteurs et pays consommateurs. Il s'agit d'arriver à un certain équilibre qui convient à tout le monde. Lorsqu'on dit que les prix du pétrole ont beaucoup augmenté depuis trois ans, c'est vrai. Mais c'est seulement en partie. Ils ont augmenté en valeurs nominales. Car en valeur réelle, nous n'avons pas encore retrouvé le niveau d'il y a vingt- cinq ans, de 1981. En valeur réelle aujourd'hui, 100 dollars représentent 8 ou 9 dollars de 1981. Entre 1981 et 1982, les prix de pétrole avaient atteint 15 dollars. Nous savons aussi que pour développer aujourd'hui les réserves pétrolières et gazières ou toute source énergétique, il faut que les prix soient à un niveau adéquat. C'est-à-dire au moins 60 à 70 dollars. Dire aujourd'hui que les facteurs géopolitiques, l'Irak, le Nigeria... sont provisoires et les prix devront chuter, n'est pas tout à fait juste. Il faut faire attention à ce genre d'arguments. Les prix chuteront évidemment si les pays producteurs augmentent leur production au maximum. Mais cela serait un suicide à la fois pour les producteurs et les consommateurs. Pour les producteurs parce qu'ils épuisent leurs réserves et esquintent les gisements, et pour les consommateurs aussi dans la mesure où ils encourent le risque de ne pas pouvoir développer suffisamment de capacités de production, faute de pétrole, pour faire face à une demande mondiale qui augmente d'une manière inexorable. Une nouvelle loi sur les hydrocarbures a été promulguée en Algérie avec comme principaux tenants une libéralisation plus accrue dans le secteur et l'abandon d'un régime de partage de production qui, jusque-là, a montré son efficacité. Quel est le point de vue du spécialiste que vous êtes sur cette question ? Je suis contre toutes les idéologies, toutes les idées figées. Je ne crois pas du tout au déterminisme et au dirigisme économique à 100%. Je ne crois pas non plus au libéralisme et au tout-marché. Il ne faut surtout pas le faire. L'Etat a son mot à dire. Il fixe les règles du jeu en tenant compte des intérêts vitaux du pays. En fixant les règles du jeu, nous devons laisser de l'espace à l'entreprise et aux acteurs économiques. L'Etat ou les sociétés nationales ne peuvent pas tout faire. Quand ils veulent tout faire, ils le font mal, dans tous les domaines d'ailleurs.