Istanbul, cité captivante, où l'œil se divise entre les affiches du festival collées sur les murs d'Istiklal Cadési et la rayonnante splendeur des parterres de tulipes qui surgissent comme un écho joyeux au cinéma. Istanbul (Turquie) De notre envoyé spécial Le cinéma turc se porte bien. Les chiffres et les recettes en témoignent. Critiques, historiens et cinéphiles ont rempli les projections du Festival d'Istanbul, ce qui prouve que quelque chose a changé. Il y a eu des années fastes avec les œuvres inoubliables de Yilmaz Guney, Omar Kavur, Ali Ozgenturk, Zeki Otken. Puis une longue crise a mis tout par terre, dans les années 1990. Un creux historique pour la production et une cruelle disparition de nombreuses salles de cinéma. On constate, aujourd'hui, comme un revirement radical. Production nationale en hausse, ouverture de nouveaux complexes multi-écrans, baisse de fréquentation des bulldozers made in Hollywood, net soutien du public au cinéma national : films populaires, mélodrames, fictions et documentaires à caractère historique, films d'auteurs. Ceux mis en scène par des cinéastes de talent, invités à Cannes, Berlin,Toronto, Venise tous les ans, et retournant au pays avec des prix : Nuri Bilge Ceylan, Zéki Demirkubutz, Sémih Kplanoglu, Réha Erdem, Yesim Ustaoglu... Confirmation au Festival d'Istanbul : le cinéma turc tient le haut du pavé et a acquis une exceptionnelle qualité technique et artistique, à l'image aussi des feuilletons de la Télévision turque, qui ont conquis un très large public dans le monde arabe. On s'armait de patience pour entrer dans les salles du festival, Atlas, Rex, City, Feriyé, et au Musée de Péra, projections éparpillées dans plusieurs quartiers d'Istanbul: Kadikoy, Ortakoy, Nisantasi. Dans la compétition nationale pour le Golden Tulip (grand prix Tulipe d'or) concouraient les longs métrages fictions signés, entre autres, Dervis Zaïm, Asli Ozgen, Ugur Yucel, Can Kilaoglu, films souvent d'une écriture simple et élégante, à la mise en scène incisive. En compétition internationale, un film libanais d'une richesse dramatique inattendue : L' attentat de Ziad Doueïri. Sujet audacieux, mise en scène réussie. C'est l'histoire de Amine Jaâfari, un Arabe israélien, chirurgien renommé à Tel-Aviv, prospère et sans soucis. Quand une femme kamikaze fait sauter un restaurant, causant 20 morts et de nombreux blessés. La police israélienne lui dit que la kamikaze, c'était sa femme. Le docteur Jaâfari reçoit une lettre posthume qui le confirme. Sujet brûlant, actuel dans lequel Ziad Doueïri fait preuve d'une maîtrise remarquable, poussée à son paroxysme logique : Comment le cheminement d'un engagement politique aboutit à une action radicale, à l'acte définitif. Dans la même section, l'Iranien, Jaâfar Panahi, a réussi à mettre son dernier film, Rideaux tirés, tourné clandestinement à Téhéran, de même que le cinéaste Omirbayev Dazekhan venu du Kazakhstan. Le public d'Istanbul, déjà averti des crises financières qui secouent l'Europe, en Grèce, Espagne, Chypre, a accueilli avec intérêt Le Capital, long métrage de fiction de Costa-Gavras. Le cinéaste franco-grec devait ensuite donner une master-class très suivie. Sous forme de polar, l'histoire suit la dérive d'un employé de banque dans le monde féroce, sans foi ni loi, du capitalisme qui enlève aux pauvres pour donner aux riches. Costa-Gavras dénonce la mafia puissante qui est derrière la spéculation boursière. On se souvient que le grand cinéaste grec, Théo Angelopoulos, filmait le même thème, quasiment la même histoire, quand il a été fauché par une auto en plein tournage sur l'autoroute du nord d'Athènes, en 2011. Forte présence du cinéma français au Festival d'Istanbul : Camille Claudel de Bruno Dumont, Foxfire de Laurent Cantet, Dans la Maison de François Ozon, Journal de France de Raymond Dépardon, Vous n'avez rien vu de Alain Resnais. Des œuvres qui ont déjà acquis leur notoriété à Cannes et dans d'autres festivals. Créé, en 1982, par la Fondation pour la culture et les arts (IKSV), le Festival du film d'Istanbul est le plus grand événement culturel de Turquie. Il se déroule chaque année, en avril, en même temps que le Festival des tulipes. Pendant un mois, Istanbul est recouverte de fleurs. Plus de 14 millions de bulbes de 270 variétés différentes fleurissent les parcs, les places, les espaces verts : Taksim, Sultaneahmet, Gulhane, Emirgan... Soit un bulbe par habitant ! La municipalité stambouliote a planté aussi des hyacinthes et des amaryllis, soit en tout 20 millions de fleurs pour Istanbul la flamboyante. Un rêve de ville.