Les récentes révélations fracassantes du ministère tunisien de l'Intérieur sur le caractère terroriste de Ansar charia suscitent des interrogations légitimes sur la «tolérance» avec laquelle ont été traitées les actions violentes des djihadistes depuis mai 2011 jusqu'au premier trimestre 2013, voire plus tard. Tunis (Tunisie). De notre correspondant Qu'y a-t-il derrière ces défaillances dans le réseau de renseignement des forces de sécurité ? «Ansar Charia est un groupe terroriste inféodé à Al Qaîda au Maghreb islamique (AQMI). Le tunisien Abou Yadh a prêté serment d'allégeance à Abou Mossaâb Abdelwadoud, chef d'AQMI, sur les monts Chaâmbi. La katiba Okba Ibn Nafaâ est la branche armée du groupe djihadiste tunisien. Ansar Charia a élaboré tout un programme pour instaurer un émirat islamique en Tunisie à travers la déstabilisation de l'Etat par la violence, en projetant des assassinats politiques et le sabotage de plusieurs grandes entreprises nationales. Pour cela, des djihadistes ont été entraînés au maniement des armes et des explosifs. Plusieurs cargaisons d'armes ont été filtrées en Tunisie et stockées», a expliqué Mustapha Ben Amor, directeur général de la sécurité publique, dans un grand exposé appuyé de photos et de vidéos. Filtration d'armes en Tunisie L'ampleur de la logistique terroriste, en cours de préparation, ne laisse pas indifférent quant aux défaillances dans le réseau de renseignement durant les périodes ayant précédé le début de l'effondrement effectif du groupe terroriste, soit après l'assassinat de Mohamed Brahmi, le 25 juillet dernier, et le guet-apens ayant entraîné la mort de huit militaires à Chaâmbi le 29 juillet. En effet, malgré plusieurs découvertes de cargaisons d'armes, notamment à Médenine et Mnihla, où des djihadistes sont impliqués, le chef du gouvernement, Ali Laârayedh, a continué à éviter d'accuser Ansar charia de terrorisme. Pourtant, dans leur meeting de Kairouan de 2012, des milliers de leurs militants ont scandé haut et fort «Obama, Obama, nous sommes tous Oussama». Le chef de Ansar Charia, Abou Yadh, avait alors clairement proclamé que l'émirat islamique était leur objectif. Mais, le parti Ennahdha laissait faire. «Les islamistes avaient besoin d'Ansar Charia afin de les utiliser dans la rue contre les démocrates», explique le politologue Hamadi Redissi. De là à dire qu'il y a de la complaisance, il n'y a qu'un pas que Redissi n'a pas voulu franchir. «Je ne pense pas qu'Ennahdha soit au courant de tout ce stratagème dangereux. Les djihadistes avec Ennahdha, c'est comme cette histoire de tigre qui, en grandissant, s'est retourné contre son dresseur», ajoute-t-il. «Il est vrai que, logiquement, Ennahdha ne saurait être au courant de tout ce stratagème des djihadistes. Il n'empêche qu'avec ces révélations, les défaillances du réseau de renseignement sont mises à nu. La responsabilité des premiers responsables sécuritaires ne saurait être que confirmée», constate l'islamologue Néji Jalloul. Responsabilité En effet, le bilan de la gestion de Ali Laârayedh à la tête du ministère de l'Intérieur laisse à désirer, si l'on s'en tient aux résultats de la lutte du ministère contre le danger djihadiste. Il suffit de se rappeler que c'est pendant cette gouvernance que plusieurs incidents impliquant des éléments d'Ansar Charia ont eu lieu. D'abord, les armes saisies à Bir Ali Ben Khelifa, en février 2012. Ensuite, l'incendie de l'ambassade américaine en septembre 2012, avant de culminer avec les incidents de Foussana et le décès du sergent Anis Jelassi, ce qui a permis d'ouvrir le dossier de la katiba Okba Ibn Nafaâ et du maquis de Chaâmbi. Mais, s'il est vrai que des opérations de ratissage ont eu lieu durant le premier semestre 2013, les véritables traques des djihadistes n'ont donné leurs fruits qu'après le décès des huit soldats le 29 juillet dernier. C'est à ce moment-là que l'armée tunisienne a usé de gros moyens pour déloger les maquisards. Le ministère de l'Intérieur a mis plus d'une année pour découvrir ce maquis, alors que plusieurs indicateurs laissaient entendre l'existence de cette base arrière. «C'est un grand échec qui ne serait passé sous silence dans un autre pays. Ali Laârayedh aurait dû démissionner en décembre 2012, parce que son ministère a longtemps nié l'existence de ces camps», estime le porte-parole d'Al Massar, Samir Taïeb. Bien que le timing de cette annonce ait été considéré par plusieurs observateurs comme une manière de détourner l'attention de l'opinion publique de la crise politique en cours, l'analyse des événements ne peut qu'impliquer directement la gestion sécuritaire de Ali Laârayedh, selon d'autres observateurs.