Derrière une bonhomie bien étudiée, le Dr Hadef rappelle certaines vérités sur les futurs enjeux qui attendent l'Algérie. - L'amendement de la Constitution devrait permettre au président Bouteflika de prolonger son mandat de deux ans. Etes-vous favorable à cette éventualité ?
Ni je me reconnais ni je reconnais le prolongement du mandat du Président. Car, je suis favorable à l'élaboration d'une nouvelle Constitution qui soit républicaine et démocratique. Je milite également pour l'instauration d'un mandat unique, qui doit permettre une rotation du pouvoir et offrir une alternance démocratique et républicaine. Cependant, j'entends les arguments avancés par certains qui estiment qu'il faut du temps à un Président pour mettre en place son programme, pour obtenir des résultats. A cela je dis que des pays comme le Portugal ont instauré un mandat de quatre ans, sous la présidence de Mario Soares. Résultat : le pays se porte mieux que nous. Un mandat de longue durée, renouvelable est contreproductif. Un autre argument est avancé : en Algérie il n'y a pas beaucoup de présidentiables crédibles. A ceux qui tiennent ce discours, je réponds qu'il ne faut pas prendre les Algériens pour ce qu'ils ne sont pas. Enfin, j'ai l'impression que dans ce pays, un présidentiable doit impérativement être un Premier ministre ou un ministre, comme si la fonction présidentielle ne pouvait être assurée que par cette catégorie de personnalités. Ce qui est faux. Pour en revenir à la révision de la Constitution demandée par le président Bouteflika, je déplore la démarche qui a exclu les partis politiques du débat. Nous n'avons pas été consultés, alors que notre parti voulait faire des propositions.
- Vous estimez que la Constitution actuelle n'est ni républicaine ni démocratique.
Elle est insuffisante. Je vais prendre des exemples concrets : dans la Constitution actuelle, rien n'est dit sur la séparation authentique des pouvoirs, y compris celui économique. De même, pour la responsabilité politique du président de la République, dont il n'est pas fait mention. Plus grave : la reconnaissance officielle de l'opposition dans le Parlement n'est pas citée dans la Constitution. C'est pour cela que je milite pour l'élaboration d'une nouvelle Loi fondamentale qui renforce les principes de la République. Par ailleurs, il faut que les institutions qui découlent de cette Constitution expriment des valeurs républicaines et démocratiques ; elles doivent représenter un contre-pouvoir.
- Aujourd'hui le seul contre-pouvoir est le DRS…
Je ne le pense pas. On a trop présenté le Département du renseignement comme le seul contre-pouvoir. A mon avis, la vérité est ailleurs.
- Quel rôle doit jouer l'institution militaire dans la révision de la Constitution et la prochaine présidentielle ?
Il y a un faut débat autour de l'armée. Certains lui demandent d'intervenir, alors que d'autres lui enjoignent de rester en dehors du jeu politique et veulent la cantonner à une armée professionnelle. Moi je dis oui à la professionnalisation de l'armée, mais sans sa banalisation dans le jeu politique. D'autant qu'elle est directement concernée par les décisions politiques qui se préparent. Que ce soit pour la révision de la constitution ou la présidentielle, l'institution militaire est ipso facto en première ligne, car ses décisions peuvent toucher la stabilité du pays. C'est pour cela que je souhaite que l'armée ne soit ni au service d'une personnalité ni qu'elle devienne l'instrument d'un candidat. L'armée doit adopter une neutralité positive. Elle est la seule en mesure de garantir des règles du jeu inviolables.
- En décidant la dissolution du service de la police judiciaire du DRS, le pouvoir se prémunit-il contre toute nouvelle révélation dans les affaires de corruption ?
Je ne pense pas que cette restructuration des services soit si cruciale pour l'instant. L'enjeu majeur réside dans les décisions qui seront prises au sujet de la continuité du régime actuel ou son changement. Il y aura des enjeux beaucoup plus importants qui vont se décider dans les prochaines semaines.
- Croyez-vous encore à l'ouverture du jeu politique ?
J'y crois encore, mais cela vous ne sera pas donné, il faudra l'arracher. Pour cela, il faut que les partis, les hommes politiques et les intellectuels, que malheureusement nous n'entendons pas beaucoup sur les questions cruciales qui engagent l'avenir de notre pays, doivent exiger l'ouverture du jeu politique. Il faut mettre en place un statut des partis politiques, pour assurer une sécurité juridique aux formations politiques. Une exigence dont je suis le seul à avoir demandé la mise en place. En plus, il faut assurer aux partis un financement public, contrôlé par la Cour des comptes pour se prémunir contre l'arrivée de l'argent des particuliers dans le circuit politique. Egalement, il faut établir les droits des partis politiques, qui doivent permettre un fonctionnement normal pour toute activité politique sans que celle-ci soit assujettie à une autorisation de quelque organisme que ce soit.
- Vous réclamez une élection présidentielle en 2014. Serez-vous candidat ?
Il faut que l'élection ait lieu comme prévu, en avril 2014. Au sujet de ma candidature, je vous répondrai que je suis actuellement au stade de la réflexion, car une candidature est un engagement avec le peuple. En outre, cela dépendra de la mise en place des conditions politiques, juridiques et administratives. Car le danger résulte dans le risque que cette compétition présidentielle ne remplisse pas certaines conditions, comme l'impartialité de l'Etat, un même traitement réservé à tous les candidats, une compétition codifiée républicaine… Par ailleurs, une élection ne se joue pas pendant une campagne électorale, mais pendant le débat préélectoral, qui détermine la réussite d'un candidat. Or, ce débat est aujourd'hui inexistant.
- Lors de la présidentielle de 2009, vous vous êtes présenté comme la «voix des sans voix». En 2014 vous comptez toujours être le porte-parole des laissés-pour-compte ?
Absolument. D'autant qu'en 2014, les sans)voix sont encore plus nombreux qu'en 2009. Le MNE a été créé pour permettre à ceux qui sont déçus par le fonctionnement de certains partis de reprendre espoir en la politique. Il n' y a pas en Algérie que des partis qui changent d'orientation chaque semaine. Qui le matin signent des alliances, à midi se marient, l'après-midi divorcent et la nuit flirtent. Il y a aussi des partis qui se battent pour des idées et des projets. Aujourd'hui, dans ce pays, il n'y a que de l'actualité politique, loin du débat politique.
- L'arrivée de l'argent dans la politique est-il un risque pour la République ?
La main basse des milieux affairistes sur la politique est un danger pour la République et la démocratie. Cela va déboucher sur une ploutocratie, qui est en contradiction avec les valeurs de la démocratie. C'est pour cela que j'appelle de mes vœux un financement de l'Etat, qui devrait permettre une juste compétition politique entre tous les partis.
- Vous demandez la mise en place d'une industrie, adaptée à l'écologie et l'environnement. Etes-vous favorable à l'exploitation du gaz de schiste ?
Non. Il y a trop de risques à maîtriser et pour le moment aucun pays n'est en mesure de se prémunir contre une catastrophe. De plus, l'exploitation du gaz de schiste peut être un risque écologique et sanitaire. Développons plutôt des énergies propres, comme l'énergie solaire.