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Eveline, dans sa maison au bord du ciel
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Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2014

« (...) J'aime rire, mais je suis profondément sérieuse, je ne veux pas que le tragique qui côtoie le comique de la vie me muselle, parce que j'aime par-dessus tout la liberté. Et savez-vous le moment de ma vie où j'ai été le plus libre ? Eh bien, c'est en prison. (...) Mais je vais vous expliquer. En prison, plus de contraintes familiales ou sociales : nous étions un groupe de jeunes femmes avec le même amour de notre pays. Et comme nous étions chacune un morceau de ce pays, nous avions beaucoup d'affection, d'attention les unes à l'égard des autres. Nous partagions tout : les photos de famille à regarder, les lettres que nous recevions, le «panier», ce supplément de nourriture que les familles peuvent apporter aux prisonniers non encore condamnés . Nous avions cette volonté de fer et d'acier : tout partager, vivre avec des êtres différents mais unis par un même idéal, un même choix pour l'avenir. »
E. S-L.. « Mémoire d'Oran ». Prison d'Oran, 1956-1957

Eveline Safir Lavalette s'est éteinte à Médéa dans la nuit de vendredi dernier. Moudjahida d'origine européenne, elle avait fait le choix, très tôt, et évident pour elle, d'être Algérienne. Le choix de l'Algérie(1) que, en Juste qu'elle était, et à l'instar des Chaulet, de Jeanine Belkhodja, de Djamila Amrane Minne, d'Annie Steiner et de beaucoup d'autres, elle aura défendu jusqu'au bout.
Je la croisais parfois chez Pierre et Claudine Chaulet, à l'époque où nous préparions l'édition de leurs mémoires. Eveline Safir Lavalette venait alors de sa montagne, de là-bas, tout là-haut, Médéa, là où elle habitait depuis toujours, aurait-on dit. Assise sur un fauteuil, elle nous regardait avec bienveillance, souriante, peu bavarde, vérifiant de temps à autre que sa canne était à portée de main. Quand elle se mettait debout, marchant de guingois et comme brisée de toutes parts, si quelqu'un faisait mine de la soutenir, elle le rabrouait, un brin agacée. Elle boitait, chaloupant douloureusement, à cause de l'arthrose, de la vieillesse, de tout, de la vie – et des séquelles, sans doute, de la torture (mais ça, elle ne le dira jamais clairement, seulement par allusion, au détour d'une phrase, évacuant la question d'un revers de main – j'apprendrais d'ailleurs à reconnaître dans ce geste furtif le signe qu'on abordait là un sujet pénible : information comme concédée, immédiatement banalisée ; elle avait une aversion viscérale pour la dramatisation).
Je savais aussi, mais de loin, qu'elle et ma mère entretenaient une belle amitié préservée, de celles qui survivent à la distance et aux silences de la vie qui sépare.
Mais c'est grâce à Ghania Mouffok que j'ai vraiment fait la rencontre d'Eveline. C'est elle qui m'a parlé de ses textes, c'est elle qui l'a convaincue de les sortir de ses cahiers d'écolier, de l'anonymat, et de les donner à lire aux Algériens, aux jeunes comme aux vieux, à nous tous – comme on fait un don, littéralement. C'est avec Ghania Mouffok que je suis allée lui rendre visite dans sa maison au bord du ciel, entre nuages et montagne, et que nous avons soigneusement préparé son livre Juste Algérienne2, ouvrage qui, à bien des égards, aura été l'une des aventures éditoriales les plus bouleversantes qu'il m'ait été donné de vivre. Elle avait attendu l'âge de 86 ans pour les publier. C'était l'an dernier.
Ghania Mouffok écrit dans sa magnifique préface que ce livre «vient d'un long silence». Est-ce que le fait d'être sortie du silence aura apporté à Eveline un quelconque apaisement ? Cette question reste pour moi en suspens. Elle n'était pas en quête de reconnaissance. Elle était trop simple, trop vraie. Ce qu'elle souhaitait en revanche, c'était que les gens sachent et apprennent ; les jeunes surtout. Qu'ils (ré)apprennent des mots essentiels comme «idéal», «fraternité», «révolution», et prennent la mesure de ce qu'a été le combat pour la libération. Eveline était anxieuse de savoir comment son livre avait été reçu par le public, comme pour se rassurer sur l'état de notre monde, comme pour ne pas désespérer de notre curiosité, de notre envie de comprendre et de nous dépasser.

A-t-elle été comprise ? Car dans un registre inédit, entre poème en prose, réminiscence, évocation, chronique des petits riens, son écriture demeure profondément inclassable. Sans doute en a-t-elle déstabilisé plus d'un, ceux familiers des mémoires exhaustifs et chronologiques, des autobiographies et/ou témoignages plus «classiques». Or Eveline, elle, a proposé de l'intime par bribes, par ellipse, par sensations : c'est ce qui donne à son témoignage, une dimension poétique unique, qui ne nuit en rien – bien au contraire – à sa valeur historique.
Depuis quelques mois, son corps malade la faisait souffrir, la tourmentait, l'épuisait, l'éloignait de la vie. N'était l'intervention d'amis aimants et influents, elle aurait continué à passer d'un spécialiste à un autre, trimballée de laboratoires d'analyse en cliniques lugubres, dans le mal-être, l'angoisse, et la solitude malgré ceux qui l'entouraient. Elle a passé un mois à l'hôpital Mustapha, de plus en plus otage de son corps, de moins en moins libre. Dans cette épreuve, elle n'a jamais perdu son sens de l'humour, sa fraîcheur, sa fantaisie toute juvénile. Ainsi, en riant, elle se plaisait à évoquer par le menu tous les plats qu'elle se mitonnerait une fois rentrée à la maison.
Pour ceux qui n'ont pas connu Eveline, il reste ses textes : «Le temps est venu de la lire», écrit Ghania Mouffok dans sa préface, comme un impératif éthique. Et il reste les images. Vous rencontrerez Eveline au MaMa. Entre Alice Cherki et Izza Bouzekri, au milieu d'autres moudjahidate, connues et inconnues. Dans cette exposition de portraits en noir et blanc, vous vous retrouverez face à Eveline Safir Lavalette : elle est assise, concentrée, naturelle, bras croisés, en une posture sage et déterminée ; elle porte loin son regard – elle semble n'avoir jamais été aussi lucide, en paix avec elle-même.
«Elle a choisi de partir», m'a soufflé, en m'annonçant sa mort, Ghania Mouffok, elle qui l'a accompagnée jusqu'au bout. J'ai moi aussi envie de croire que cette femme, qui a toujours décidé de sa vie, maîtresse de son destin jusque dans le supplice, a choisi de partir pour éviter la déchéance du corps.
Il faut lire ses mots. Il faut aller la voir. Il faut aller à sa rencontre, vous comprendrez.
-1 Le Choix de l'Algérie, Pierre et Claudine Chaulet, barzakh, 2012.
-2 Juste Algérienne, Eveline Safir Lavalette, barzakh, 2013.


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