Commerce intérieur et Régulation du marché national : réunion de coordination pour la mise en place de la feuille de route du secteur    Le président de la République préside la cérémonie de célébration du 50eme anniversaire de l'UNPA    Cosob: début des souscriptions le 1er décembre prochain pour la première startup de la Bourse d'Alger    Ghaza: le bilan de l'agression sioniste s'alourdit à 44.249 martyrs et 104.746 blessés    Agression sioniste contre Ghaza: "Il est grand temps d'instaurer un cessez-le-feu immédiat"    La Turquie restera aux côtés de la Palestine jusqu'à sa libération    Accidents de la route: 34 morts et 1384 blessés en une semaine    Prix Cheikh Abdelkrim Dali: Ouverture de la 4e édition en hommage à l'artiste Noureddine Saoudi    Se prendre en charge    Hackathon Innovpost d'Algérie Poste Date limite des inscriptions hier    Génocide à Gaza : Borrell appelle les Etats membres de l'UE à appliquer la décision de la CPI à l'encontre de responsables sionistes    Plantation symbolique de 70 arbres    Les besoins humanitaires s'aggravent    «Les enfants fêtent les loisirs»    L'équipe nationale remporte la médaille d'or    Energies renouvelables et qualité de la vie    Opération de distribution des repas chauds, de vêtements et de couvertures    Le wali appelle à rattraper les retards    Une saisie record de psychotropes à Bir El Ater : plus de 26.000 comprimés saisis    La promotion des droits de la femme rurale au cœur d'une journée d'étude    Eterna Cadencia à Buenos Aires, refuge littéraire d'exception    Irrésistible tentation de la «carotte-hameçon» fixée au bout de la langue perche de la francophonie (VI)    Tébessa célèbre le court métrage lors de la 3e édition des Journées cinématographiques    Les équipes algériennes s'engagent dans la compétition    Le programme présidentiel s'attache à doter le secteur de la justice de tous les moyens lui permettant de relever les défis    Lignes ferroviaires: la création du GPF, un grand acquis pour le secteur    La caravane nationale de la Mémoire fait escale à Khenchela    Le Général d'Armée Chanegriha reçu par le vice-Premier-ministre, ministre de la Défense et ministre de l'Intérieur du Koweït    Numérisation du secteur éducatif : les "réalisations concrètes" de l'Algérie soulignées    Beach Tennis: le Championnat national les 29-30 novembre à Boumerdes    La transition numérique dans le secteur de l'enseignement supérieur au centre d'un colloque le 27 novembre à l'Université d'Alger 3    Hand-CAN- 2024 dames: départ de l'équipe nationale pour Kinshasa    Concert musical en hommage à Warda el Djazaïria à l'Opéra d'Alger    Sonatrach : lancement d'un concours national de recrutement destinés aux universitaires    Le président de la République préside la cérémonie de prestation de serment de la nouvelle Directrice exécutive du Secrétariat continental du MAEP    L'ANP est intransigeante !    L'Algérie happée par le maelström malien    Un jour ou l'autre.    En Algérie, la Cour constitutionnelle double, sans convaincre, le nombre de votants à la présidentielle    Tunisie. Une élection sans opposition pour Kaïs Saïed    Algérie : l'inquiétant fossé entre le régime et la population    BOUSBAA بوصبع : VICTIME OU COUPABLE ?    Des casernes au parlement : Naviguer les difficiles chemins de la gouvernance civile en Algérie    Les larmes de Imane    Algérie assoiffée : Une nation riche en pétrole, perdue dans le désert de ses priorités    Prise de Position : Solidarité avec l'entraîneur Belmadi malgré l'échec    Suite à la rumeur faisant état de 5 décès pour manque d'oxygène: L'EHU dément et installe une cellule de crise    Pôle urbain Ahmed Zabana: Ouverture prochaine d'une classe pour enfants trisomiques    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Eveline, dans sa maison au bord du ciel
Culture : les autres articles
Publié dans El Watan le 02 - 05 - 2014

« (...) J'aime rire, mais je suis profondément sérieuse, je ne veux pas que le tragique qui côtoie le comique de la vie me muselle, parce que j'aime par-dessus tout la liberté. Et savez-vous le moment de ma vie où j'ai été le plus libre ? Eh bien, c'est en prison. (...) Mais je vais vous expliquer. En prison, plus de contraintes familiales ou sociales : nous étions un groupe de jeunes femmes avec le même amour de notre pays. Et comme nous étions chacune un morceau de ce pays, nous avions beaucoup d'affection, d'attention les unes à l'égard des autres. Nous partagions tout : les photos de famille à regarder, les lettres que nous recevions, le «panier», ce supplément de nourriture que les familles peuvent apporter aux prisonniers non encore condamnés . Nous avions cette volonté de fer et d'acier : tout partager, vivre avec des êtres différents mais unis par un même idéal, un même choix pour l'avenir. »
E. S-L.. « Mémoire d'Oran ». Prison d'Oran, 1956-1957

Eveline Safir Lavalette s'est éteinte à Médéa dans la nuit de vendredi dernier. Moudjahida d'origine européenne, elle avait fait le choix, très tôt, et évident pour elle, d'être Algérienne. Le choix de l'Algérie(1) que, en Juste qu'elle était, et à l'instar des Chaulet, de Jeanine Belkhodja, de Djamila Amrane Minne, d'Annie Steiner et de beaucoup d'autres, elle aura défendu jusqu'au bout.
Je la croisais parfois chez Pierre et Claudine Chaulet, à l'époque où nous préparions l'édition de leurs mémoires. Eveline Safir Lavalette venait alors de sa montagne, de là-bas, tout là-haut, Médéa, là où elle habitait depuis toujours, aurait-on dit. Assise sur un fauteuil, elle nous regardait avec bienveillance, souriante, peu bavarde, vérifiant de temps à autre que sa canne était à portée de main. Quand elle se mettait debout, marchant de guingois et comme brisée de toutes parts, si quelqu'un faisait mine de la soutenir, elle le rabrouait, un brin agacée. Elle boitait, chaloupant douloureusement, à cause de l'arthrose, de la vieillesse, de tout, de la vie – et des séquelles, sans doute, de la torture (mais ça, elle ne le dira jamais clairement, seulement par allusion, au détour d'une phrase, évacuant la question d'un revers de main – j'apprendrais d'ailleurs à reconnaître dans ce geste furtif le signe qu'on abordait là un sujet pénible : information comme concédée, immédiatement banalisée ; elle avait une aversion viscérale pour la dramatisation).
Je savais aussi, mais de loin, qu'elle et ma mère entretenaient une belle amitié préservée, de celles qui survivent à la distance et aux silences de la vie qui sépare.
Mais c'est grâce à Ghania Mouffok que j'ai vraiment fait la rencontre d'Eveline. C'est elle qui m'a parlé de ses textes, c'est elle qui l'a convaincue de les sortir de ses cahiers d'écolier, de l'anonymat, et de les donner à lire aux Algériens, aux jeunes comme aux vieux, à nous tous – comme on fait un don, littéralement. C'est avec Ghania Mouffok que je suis allée lui rendre visite dans sa maison au bord du ciel, entre nuages et montagne, et que nous avons soigneusement préparé son livre Juste Algérienne2, ouvrage qui, à bien des égards, aura été l'une des aventures éditoriales les plus bouleversantes qu'il m'ait été donné de vivre. Elle avait attendu l'âge de 86 ans pour les publier. C'était l'an dernier.
Ghania Mouffok écrit dans sa magnifique préface que ce livre «vient d'un long silence». Est-ce que le fait d'être sortie du silence aura apporté à Eveline un quelconque apaisement ? Cette question reste pour moi en suspens. Elle n'était pas en quête de reconnaissance. Elle était trop simple, trop vraie. Ce qu'elle souhaitait en revanche, c'était que les gens sachent et apprennent ; les jeunes surtout. Qu'ils (ré)apprennent des mots essentiels comme «idéal», «fraternité», «révolution», et prennent la mesure de ce qu'a été le combat pour la libération. Eveline était anxieuse de savoir comment son livre avait été reçu par le public, comme pour se rassurer sur l'état de notre monde, comme pour ne pas désespérer de notre curiosité, de notre envie de comprendre et de nous dépasser.

A-t-elle été comprise ? Car dans un registre inédit, entre poème en prose, réminiscence, évocation, chronique des petits riens, son écriture demeure profondément inclassable. Sans doute en a-t-elle déstabilisé plus d'un, ceux familiers des mémoires exhaustifs et chronologiques, des autobiographies et/ou témoignages plus «classiques». Or Eveline, elle, a proposé de l'intime par bribes, par ellipse, par sensations : c'est ce qui donne à son témoignage, une dimension poétique unique, qui ne nuit en rien – bien au contraire – à sa valeur historique.
Depuis quelques mois, son corps malade la faisait souffrir, la tourmentait, l'épuisait, l'éloignait de la vie. N'était l'intervention d'amis aimants et influents, elle aurait continué à passer d'un spécialiste à un autre, trimballée de laboratoires d'analyse en cliniques lugubres, dans le mal-être, l'angoisse, et la solitude malgré ceux qui l'entouraient. Elle a passé un mois à l'hôpital Mustapha, de plus en plus otage de son corps, de moins en moins libre. Dans cette épreuve, elle n'a jamais perdu son sens de l'humour, sa fraîcheur, sa fantaisie toute juvénile. Ainsi, en riant, elle se plaisait à évoquer par le menu tous les plats qu'elle se mitonnerait une fois rentrée à la maison.
Pour ceux qui n'ont pas connu Eveline, il reste ses textes : «Le temps est venu de la lire», écrit Ghania Mouffok dans sa préface, comme un impératif éthique. Et il reste les images. Vous rencontrerez Eveline au MaMa. Entre Alice Cherki et Izza Bouzekri, au milieu d'autres moudjahidate, connues et inconnues. Dans cette exposition de portraits en noir et blanc, vous vous retrouverez face à Eveline Safir Lavalette : elle est assise, concentrée, naturelle, bras croisés, en une posture sage et déterminée ; elle porte loin son regard – elle semble n'avoir jamais été aussi lucide, en paix avec elle-même.
«Elle a choisi de partir», m'a soufflé, en m'annonçant sa mort, Ghania Mouffok, elle qui l'a accompagnée jusqu'au bout. J'ai moi aussi envie de croire que cette femme, qui a toujours décidé de sa vie, maîtresse de son destin jusque dans le supplice, a choisi de partir pour éviter la déchéance du corps.
Il faut lire ses mots. Il faut aller la voir. Il faut aller à sa rencontre, vous comprendrez.
-1 Le Choix de l'Algérie, Pierre et Claudine Chaulet, barzakh, 2012.
-2 Juste Algérienne, Eveline Safir Lavalette, barzakh, 2013.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.