Selon un sondage Ipsos, réalisé dimanche soir, si 61% des électeurs ont voté sur des enjeux européens, 31% ont motivé leur choix sur la question migratoire contre 27% concernant la crise de l'euro ou de la lutte contre le chômage. C'est assez dire que le vote est bel et bien teinté d'exclusion des étrangers. Pierre-Yves Bulteau, journaliste, auteur du livre En finir avec les idées fausses propagées par l'extrême droite, paru en avril dernier, partage avec nous, à chaud, ses premiers sentiments. -Quelle a été votre réaction face au score prévisible du Front National, dimanche, aux européennes ? Il est peut-être utile de souligner que si le score du Front National a quadruplé depuis les européennes de 2009 (6,34% contre 25,1%), c'est que ce dernier fait suite à l'échéance municipale de mars où le FN avait déjà enregistré des résultats très élevés. Ceci étant posé, il y a trois enseignements à tirer de la soirée électorale de dimanche. D'abord, si le vote FN s'est maintenu entre mars et mai, c'est à la faveur d'une campagne extrêmement atone et exclusivement nationale, couverte par des médias très peu investis par ces enjeux européens. Il s'agit donc avant tout d'une victoire nationale, alors même que, d'ordinaire, les eurosceptiques ont généralement tendance à s'abstenir sur ce genre d'échéances. Ensuite, plus que les 25,1% enregistrés par le FN, ce maintien de l'électorat frontiste marque la fin d'un vote volatile. Depuis dimanche – et si les partis de gouvernement n'en tirent aucune leçon – Marine Le Pen pourra désormais compter sur un socle électoral solide qui lui est indispensable pour accéder à la deuxième ou première place de la présidentielle de 2017.Enfin, si lors des dernières municipales, le vote FN avait «carburé» au chômage, cette fois-ci, il s'inscrit dans une logique de repli identitaire. -Justement, dans la première partie de votre livre En finir avec les idées fausse propagées par l'extrême droite, vous mettez l'accent sur ce moteur du Front National qu'est la question de l'immigration, pourquoi ? Pour montrer que malgré ce que le FN tente de nous faire croire, ce parti reste ancré dans une idéologie xénophobe. Sous le couvert d'un discours teinté de réalités économiques et sociales, le Front National joue de la crainte réelle du déclassement pour ajuster des boucs-émissaires. Ces étrangers, ces «mauvais Français» supposés être les acteurs de la destruction de notre modèle social. Outre d'en être désignés comme les fossoyeurs, ils n'en seraient que des consommateurs passifs alors même que les salariés français, eux, auraient de plus en plus de mal à en bénéficier. Cette «préférence nationale», du temps de Jean-Marie Le Pen, est devenue «priorité nationale» sous Marine Le Pen. Soit une supposée nécessité du «moi» contre «l'autre», du Français contre l'étranger, du «fragile» contre le «plus fragile». Le vote de dimanche est donc grave à plus d'un titre : d'abord parce qu'il va renforcer la distorsion déjà préoccupante de la cohésion nationale ; ensuite parce qu'il induit le tri entre citoyens et habitants de France comme projet politique. Pourtant, il faut le redire, cette sélection va à l'encontre même des valeurs de la République. Que ce soit dans l'article 1er de la Constitution ou du Conseil constitutionnel, la République française assure l'égalité de tous devant la loi, et ce, sans discrimination. -Pourtant, plus rien ne semble pouvoir arrêter ce spectre nauséabond, xénophobe et raciste en France. Faut-il se résigner ? Dire que la France – et donc les Français – serait un pays définitivement raciste, c'est faire le jeu de l'extrême droite. Non, la France n'est pas un pays raciste et bien sûr que non, il n'est pas question de se résigner. Ces alertes répétées du vote FN viennent de marquer un point très préoccupant, dimanche. Elles doivent donc nous servir à réhabiliter la réalité des faits face aux fantasmes de l'extrême droite. Redire avant tout que le FN n'est pas un parti comme un autre et que sa posture républicaine est en fait une imposture républicaine. Il sera d'ailleurs intéressant d'observer le travail des eurodéputés frontistes. De voir, par exemple, comment Steeve Briois (maire d'Hénin-Beaumont et eurodéputé de la circonscription Nord-Ouest) et Marine Le Pen se saisiront des questions de la directive dite des «travailleurs détachés» ou de la négociation du Traité transatlantique. Pour l'instant, sur ces questions économiques et sociales, le FN n'a jamais été du côté des travailleurs en lutte. Pis, depuis qu'elle est eurodéputée, la présidente du FN a préféré s'abstenir plutôt que de voter pour l'encadrement de cette directive et a carrément voté en faveur du grand marché entre l'UE et les USA, en 2008, actant le fait que «ce partenariat était l'instrument clé pour façonner la mondialisation». Se résigner serait donc encourager ce jeu-là, accepter qu'à la solidarité républicaine se substitue une solidarité de l'exclusion. Au contraire, nous devons mobiliser nos énergies et nos convictions, rappeler à la gauche au pouvoir pourquoi elle a été élue, ajouter au triptyque : Liberté, Egalité, Fraternité, la solidarité du service public. Ce service, sans exclusion ni discrimination, qui est et restera le capital de ceux qui n'en ont pas.
* A lire : En finir avec les idées fausses propagées par l'extrême droite, Pierre-Yves Bulteau, Ed. de l'Atelier, 164 pages, 5 euros. L'auteur collabore à l'émission de France Inter «Là-bas si j'y suis !», et à diverses revues dont Mouvements (La Découverte) et Causes communes (La Cimade).