Alors que 160 pays en sont déjà membres, l'Algérie fait partie des 24 pays qui sont encore en négociation pour leur accession à l'Organisation mondiale du commerce (OMC). A peine installé, le ministre du Commerce, Amara Benyounes, a déclaré qu'il fera de cette question «sa priorité», dans le cadre des orientations du président de la République, lequel veut une accession qui «tienne compte des intérêts de l'économie algérienne». Dans un monde globalisé, l'Algérie ne peut pas rester en marge, estiment les pro-OMC. Avec moins de 0,5% des échanges globaux, le profil commercial de l'Algérie ne pèse pas grand-chose dans les échanges mondiaux. L'OMC permettant une libéralisation des échanges et une levée des barrières en la matière, les pays entrants doivent théoriquement pouvoir bénéficier des avantages offerts. Baisse des coûts de l'importation des intrants et biens intermédiaires, amélioration des capacités productrices et de compétitivité des entreprises, diversification de l'offre de biens et services, participation à l'élaboration des règles d'échanges internationaux, booster les réformes, etc. sont autant d'atouts que l'Algérie pourrait tirer d'une accession à l'OMC. «L'intérêt pour l'Algérie, c'est qu'elle ne pourra plus changer les lois à sa guise», indique Ali Bey Nasri, président de l'Association nationale des exportateurs algériens (ANEXAL). En effet, selon l'organisation, il est fait obligation aux gouvernements «d'assurer la transparence de leur politique commerciale en notifiant à l'OMC des lois en vigueur et des mesures adoptées». Mais ce même avantage peut également être perçu comme «une perte de souveraineté de l'Algérie sur ses décisions économiques», note M. Nasri. Pour certains opérateurs économiques, l'OMC offre la «possibilité d'accéder à certains marchés qui n'acceptent pas le produit algérien, ainsi que la certification et l'accès aux normes», estime Tayeb Ezzraïmi, PDG du groupe SIM. Déjà exportateur dans plus de 25 pays, il considère que l'OMC peut «multiplier les chances d'exporter, mais cela peut aussi se faire sans elle», car si avantages il y a, il existe aussi beaucoup «d'inconvénients». Inconvénients Le Parti des Travailleurs (PT) qui privilégie les «accords bilatéraux» énumère quelques griefs. «La règle du 51/49, le soutien de l'Etat aux prix sont des mesures qui seront refusées par l'OMC», relève Ramdane Taazibt. Si l'Algérie continue à négocier, elle risque de perdre «tout ce qu'elle a construit depuis l'indépendance», dit-il, en voulant pour preuve les effets de l'accord d'association avec l'Union européenne. Ce dernier a engendré «la perte de milliers d'emplois entre 2007 et 2010, la disparition de 40 produits industriels et la mise en faillite de nombreuses exploitations agricoles». Du côté de l'UGTA, Amar Takjout, président de la fédération du textile et des industries manufacturières, craint carrément «une disparition» totale de la filière du fait que les entreprises ne sont pas prêtes «ni quantitativement, ni qualitativement». Selon lui, 95% de la demande nationale est satisfaite par l'importation, avec l'OMC «on achèvera les 5% restants». Il en veut pour preuve le cas des chaussures, dont la part de la production nationale n'est que de 1 million de paires sur des besoins estimés à 70 millions de paires par an. Mais ce n'est pas tout, quand on sait que l'OMC fait de la suppression des subventions, notamment à l'exportation, son cheval de bataille. Or, en Algérie, il est prévu pour les exportateurs un remboursement des surcoûts liés au fret qui représente 25% du coût de ce dernier. Cette subvention «est très importante pour certaines filières dont les marges sont minimes et la concurrence rude comme pour les produits bruts», explique Ali Bey Nasri. Certes, beaucoup d'autres membres de l'OMC (UE, USA, Chine) pratiquent ces subventions, mais le hic pour l'Algérie, c'est que «ce sont les pays membres qui dictent leur loi à ceux qui négocient», précise M. Nasri. Réserves Les accords régissant les échanges de marchandises, de services et à la propriété intellectuelle sont censés pousser les entreprises nationales sous l'effet de la concurrence à se perfectionner, se moderniser et à être plus compétitives. Le renforcement de la propriété intellectuelle mettrait fin à la contrefaçon. L'obligation de se conformer aux accords conduirait à une prise en charge sérieuse des réformes, une stabilité des textes, rendant le pays attractif pour les investisseurs étrangers. L'ouverture pourrait également mettre fin à toute une logique du système politique basée sur ce que les économistes appellent «le pacte rentier», une redistribution de la rente au lieu de la production. A ce titre, Mehdi Abass, économiste, estime dans une étude sur l'adhésion de l'Algérie à l'OMC (2009) que les réformes induites par le processus d'accession risquent de «heurter les dispositifs socio-économiques de reproduction du pacte rentier». Elles remettraient en question, selon lui, les fondements de ce dispositif, à savoir : les systèmes d'autorisations administratives, des licences d'importation, des procédures douanières, de la remise en cause des monopoles commerciaux, de la refonte de la politique de soutien et de subvention, de la clarification des législations nationales en matière de foncier et de transparence de l'action économique et sociale des pouvoirs publics. L'aubaine La logique rentière peut expliquer certaines résistances au processus d'accession. En revanche, ce sont, selon M. Takjout, «les lobbies des importations» qui se frottent les mains. En 30 ans, «nous n'avons pas réussi à exporter plus de 2 milliards de dollars», dit-il. Un avis partagé par Tayeb Ezzraïmi, pour qui l'OMC «encouragera l'importation». Selon lui, «une bonne partie des entreprises productrices se sont déjà reconverties en importateurs avant même l'accès à l'OMC. Si on accède à l'OMC, ce sera encore pire, la machine productrice algérienne sera en panne d'une manière certaine», car «on ne sera pas concurrentiels». Le salut pour les entreprises algériennes passe donc par «une mise à niveau sérieuse», estime M. Ezzraïmi. Car pour lui, jusque-là ce dispositif n'a pas «été fait selon les normes appliquées dans d'autres pays». Sa remise sur les rails suppose que «nous, en tant qu'opérateurs, soyons associés aux négociations sur le choix des organismes certificateurs et non qu'ils nous soient imposés». En attendant, le processus de négociation de l'Algérie avec l'OMC se poursuivra. A sa dernière réunion en mars, l'organisation s'était «félicitée des progrès importants accomplis par l'Algérie», même si beaucoup de questions restent cependant à négocier.