L'Algérie se prépare sérieusement pour la révision de sa Constitution.» Telle est l'annonce faite, hier, par Mohamed Ali Boughazi, conseiller du président Bouteflika, en lisant un message de ce dernier. Une annonce qui sonne comme un coup de sifflet du pouvoir pour dire son rejet de toute démarche visant un changement ou un autre projet que le sien. Depuis 2011, année de tous les bouleversements arabes, le pouvoir n'a eu de cesse de faire miroiter le projet de révision constitutionnelle comme une volonté affichée de sa part d'arranger les choses en matière de gouvernance. Mais force est de constater que les années ont passé et aucun changement n'a été opéré. Le pouvoir a choisi de gagner du temps et Bouteflika a même eu droit à un quatrième mandat. Alors que la scène politique foisonne d'initiatives et d'appels pour mener le bateau Algérie vers un rivage autre que celui du statu quo, le pouvoir s'entête à ne laisser place qu'à son propre projet de pérennisation d'un règne sans partage. «L'Algérie va procéder à la révision de sa Constitution. Elle s'y prépare sérieusement, en se basant sur les résultats des larges consultations organisées à cet effet en vue d'associer toutes les catégories sociales», disait hier le message de Bouteflika lu devant une Assemblée africaine dédiée à l'évaluation de «L'évolution du droit constitutionnel en Afrique». Les consultations dirigées par le directeur de cabinet de la Présidence, Ahmed Ouyahia, pendant plus d'un mois, n'ont, pour rappel, pas eu l'adhésion de toute la classe politique ; seuls des avis ont été collectés auprès des parties y ayant pris part. Ces parties ne prennent pas part à l'élaboration du texte de la Loi fondamentale, ce qui confirme que le projet en préparation ne sera que l'émanation de la seule volonté du prince. Les révisions constitutionnelles en Afrique, une arme de pérennisation des systèmes ? C'est le cas dans le plus grand pays du continent, où l'on s'entête à conjuguer statu quo à tous les temps passé, présent et futur. Bouteflika justifie cette révision en disant qu'elle épargnera au pays de tomber dans le tourbillon d'insécurité engendré par les «printemps arabes». «Il est clair que l'objectif visé est de faciliter le processus d'ouverture de la société algérienne, en œuvrant à la préservation de sa stabilité et en lui épargnant les perturbations que connaissent différents pays du monde en cette ère marquée par de profondes mutations», dit-il, mais sans convaincre tant les discours prônant l'ouverture sont loin de coller à une réalité faite d'oukase et de censure. Une démarche infantilisant le peuple et la classe politique qui, aux yeux du pouvoir, ne peuvent décider et encore moins participer à tracer l'avenir du pays. Le message du président de la République affirme aussi, sans trop de détails, que l'objectif assigné à cette énième révision constitutionnelle est de «dégager un consensus autour des questions fondamentales et garantir l'efficacité des nouvelles dispositions constitutionnelles. Pour ce faire, nous veillons particulièrement à ne pas verser dans l'imitation ni dans l'improvisation». Ainsi, le pouvoir puise du lexique de l'opposition un discours pour en faire sa propre interprétation. Une manière de dire que de consensus, il n'en sera que le sien ; un consensus entre ailes du pouvoir et que les modèles de transitions opérés ailleurs ne trouveront pas matière à réalisation ici. Les consultations de Bensalah en 2011 et celles de Ouyahia en 2014 sont intervenues quasi identiquement au lendemain de fortes pressions. La première, après des troubles naissants dans les rues arabes ; la deuxième au lendemain d'une élection alibi, fortement contestée par l'opposition qui a choisi d'appeler à une transition démocratique et à la refondation d'un consensus national. La révision de la Constitution a été, comme à chaque fois, la réponse politique du pouvoir, assortie de dépenses généreuses en allocations et primes pour acheter la paix sociale. Aujourd'hui encore, alors que l'idée du consensus national en vue d'un changement réel fait des émules et que l'image de la stabilité politique est écornée, les décideurs remettent au goût du jour le projet de révision constitutionnelle comme pour mettre fin à la «récréation» et dire leur détermination à faire leur chemin comme ils l'entendent. Du temps, encore du temps à gagner pour le pouvoir et à perdre pour le salut de l'Algérie.