Djelfa a soif en ce moment ! Et sans risque d'être repris, ses habitants tous azimuts vivent les affres de l'approvisionnement et du stockage de l'eau, à qui mieux mieux, depuis au moins deux décennies. « Que voulez-vous qu'on dise sur les peines que l'on endure et qui font désormais partie de nos mœurs, à part bien sûr qu'on regrette les 500 DA dépensés en moyenne tous les deux jours pour les citernes transportables ? et ceci, croyez-moi, pèse lourdement sur notre budget familial », nous a répondu un vieux citadin en retraite, complètement blasé de la vie urbaine, une vie, renchérit-il, « coûteuse et laborieuse outre mesure en ce qui a trait à l'eau ». A l'inverse, dans de nombreuses communes de la wilaya de Djelfa de moindre importance à tous points de vue, l'eau coule à flots dans la nature et parfois même inutilement ! « Vu notre mode de vie, on n'a pas tellement besoin de cette quantité d'eau et puis, on ne possède pas de terres agricoles ! », a reconnu un rural habitant un village à quelques encablures. Pour avoir une idée de l'étendue du problème, il faut savoir que le réseau urbain d'acheminement de l'eau potable n'a pas changé d'un iota depuis sa conception au milieu du siècle dernier, soit, pour une population ne dépassant guère 20 000 âmes, alors que celle-ci a aujourd'hui décuplé, sur une superficie urbanisée de près 3000 ha. Sans compter les estivants qui affluent en nombre impressionnant, en quête de fraîcheur ainsi que les cités U et autres conurbations qui poussent comme des champignons, drainant tous les ans des milliers de personnes, etc. En sus à cela, la capacité de stockage de l'eau dans les réservoirs a non seulement sensiblement diminué à cause des opérations de chemisage, réalisées dans le but de colmater les fissurations dues à la vétusté des ouvrages, ces derniers sont souvent à sec à cause de l'apparition d'un phénomène inqualifiable, qui consiste pour certains malfaiteurs à dépouiller les forages de leurs appareillages électriques et autres pièces spéciales ; et pour d'autres agriculteurs riverains débordant de « génie » à opérer des piquages dans les conduites principales, causant d'innombrables dégâts matériels et des désagréments au déjà peu de desservis ! D'où d'importantes pertes en volume d'eau et forcément la pénurie prend une ampleur alarmante comme l'illustre bien cet adage du terroir : « Déjà que la nourriture est insuffisante, il ne manquait plus que les mouches s'en mêlent. » Ici, c'est la débrouille et selon les moyens, chacun s'en sort cahin-caha dans ce casse-tête éprouvant, hélas, pour une bonne partie de la population, au détriment d'une hygiène de vie minimum car, et c'est évident, il faut en premier lieu apaiser la soif ! Que ce soit sur le toit des bâtiments ou dessus et à l'intérieur des maisons individuelles, on a droit à un spectacle affligeant de citernes et de bâches à eau en tout genre : sous terre, à ras de terre, à l'emporte-pièce et tout récemment après avoir perdu tout espoir, la population a carrément relié ses bassins de fortune par des conduites en galvanisé donnant sur l'extérieur afin de faciliter le remplissage à partir des fameuses citernes d'eau transportables ou tractées par des engins agricoles que l'on se dispute quelquefois à couteaux tirés ! A ce titre, on dénombre plus de 300 tracteurs transportant des citernes de 3000 litres, qui s'approvisionnent de cinq forages privés dont un a été formellement interdit de puisage pour cause d'une forte teneur de son eau en nitrates, mais qui continue quand même de fonctionner au vu et au su de tous ! Ignorant tout du danger que présentent les nitrates pour la santé humaine, moult gens considèrent que c'est un mal nécessaire dès lors que l'eau est rare dans le chef-lieu de wilaya, voire inexistante dans la plupart des quartiers, y compris le centre-ville qui ne reçoit cette denrée que sporadiquement au gré du fontainier que tout le monde appelle ici improprement le vanniste. Les robinets sont souvent à sec et s'il arrive par extraordinaire que l'eau dégouline, primo, c'est pendant que tout le monde est dans le monde des rêves ou plutôt celui des cauchemars tant que tout le monde souffre de cette crise d'eau, deuzio on reçoit du robinet plus d'air que d'eau et durant un court temps, exactement comme dans un rêve ! A propos de rêve justement, Djelfa boira-t-elle de l'eau un jour à satiété ? Il semble que oui et c'est pour bientôt ! Un rêve au fond des tiroirs Qui l'aurait cru, alors que cette attente s'inscrit dans la durée à telle enseigne que la pénurie d'eau a fini par prendre corps dans la population. Le rêve de voir enfin couler l'eau de robinet dans les foyers est en passe de se réaliser ! Pourtant ce rêve a été longtemps enfoui au fond des tiroirs d'une administration centrale tatillonne sur la dépense qu'engendrerait une opération d'amenée de l'eau de très loin ! Pourquoi de très loin ? La réponse est simple mais dans le même temps, elle fait peur car on a noté il y a belle lurette un tarissement des nappes d'eau souterraines et un assèchement des champs aquifères des versants est et ouest de la ville, aggravé par des canalisations inopérantes, aujourd'hui que Djelfa a pris une dimension gigantesque et parce qu'un gisement d'eau presque minérale et inépuisable à au moins l'an 2035 se trouve à quelques lieux du chef-lieu de wilaya. La raréfaction de l'eau s'est donc signalée avec une extrême acuité et en corollaire, une menace potentielle sur la stabilité sociale. C'est cette pensée apocalyptique qui a fait cogiter dans l'esprit de nos responsables l'idée de racler leurs tiroirs pour sortir ce dossier vieux d'une douzaine d'années et le fouetter. Mais encore fallait-il dorer la pilule en haut lieu pour faire accepter l'idée d'acheminer l'eau sur une distance de 25 km, de surcroît au moyen d'une double conduite, afin de s'assurer une solution de rechange instantanée en cas de panne de l'une ou l'autre conduite. L'opération paraissait somme toute herculéenne ! Eh bien loin s'en faut, le projet est passé et le pari est à quelques menues distances d'être gagné grâce d'abord à l'embellie financière actuelle et, force est de rendre à César ce qui appartient à César, à la volonté tenace du wali qui semble s'être spécialisé dans l'éradication des crises d'eau, puisqu'il a accompli la même performance à Béchar il y a un peu plus de deux ans. Les travaux du projet de oued S'der, car c'est ainsi qu'on le désigne, ont débuté le 15 janvier 2006 et le délai contractuel initial qui oscillait entre 6 et 9 mois donne désormais pour date butoir le début de l'année 2007 et ce, à cause d'un tronçon de plus de 8 km fortement rocheux. Actuellement, le taux d'avancement des travaux est de 90% et le chantier aurait été entièrement achevé n'eut été l'impondérable de la roche, selon le wali rencontré sur le théâtre des opérations. Ce dernier a, avec fierté, revendiqué la paternité de cette immense œuvre comme son projet fétiche. « Vous voyez, j'en prends grand soin comme si c'était un de mes enfants, j'accomplis journellement des visites pour l'inspection de tous les fronts, particulièrement sur le parcours rocheux où les engins sont utilisés sans discontinuer dans l'excavation et l'épierrage », a tenu à préciser le wali tout auréolé de son imminente victoire sur la nature. Ce projet titanesque d'un montant de 2 milliards de dinars comporte des équipements complexes dirigés par process automatisé, une station de reprise et de pompage d'une capacité de 15 000 m3/j, deux réservoirs de 2500 m3 chacun et 6 forages d'un débit estimé à 200 l/s, ensuite à 300 l/s après l'opération de développement, c'est-à-dire après les tests de débit qui sont actuellement en cours. L'eau sera transportée par gravitation sur une bonne distance grâce à une dénivelée de 120 m entre le col des caravanes et la ville de Djelfa. Selon les analyses de potabilité de l'eau, effectuées au laboratoire de l'hydraulique de Laghouat, les résultats sont plus que probants et il est attendu que chaque habitant reçoive une moyenne de 78 l/j dans un premier temps, une moyenne qui atteindra 182 l/j après de futurs développements. Quant au réseau d'AEP urbain, le wali a déclaré à El Watan : « Ce sera alors le problème de l'ADE qui vient de bénéficier du transfert de patrimoine de l'ex-entreprise de gestion des eaux de Djelfa. Me concernant, je dois assurer l'amenée de l'eau jusqu'à la ville, quitte à la laisser couler dans les ruelles. » Mais si l'installation de l'ADE devait être subordonnée à la condition de décrocher ce marché aux moindres frais, autrement dit sans investir dans la rénovation du réseau urbain et en escomptant recouvrer les créances de l'EPGED auprès des APC, alors le projet de oued S'der serait celui des illusions perdues.