Aucun contrôle de sécurité, aucune garantie pour le consommateur, aucune limite dans les tarifs. Le racket organisé des salles des fêtes rend l'organisation des mariages de plus en plus périlleuse. Jusqu'à 700 000 DA pour une salle des fêtes le temps d'une soirée ! C'est le prix que doit payer une famille en quête du mariage parfait. «J'ai avancé 50 millions pour louer deux salles au mois d'août à Chéraga. C'est moi qui ai ramené l'orchestre, le cameraman, la cuisinière. Pour ce prix, le propriétaire m'a offert... l'eau minérale. Et le jour J, à 2h du matin, il m'a éteint quatre des cinq climatiseurs !», raconte un Algérois heureux d'être désormais marié et de ne plus avoir à louer de salle. Dans toute l'Algérie, c'est bien sûr dans la capitale et à Oran que les prix flambent. «J'en connais une que l'on peut louer pour 1 million de dinars, témoigne une organisatrice de mariages. A ce tarif, les gâteaux ne sont pas compris, mais le client peut demander un tapis de pelouse artificielle pour une garden party !» En cause : la loi de l'offre et de la demande qu'aucun contrôle ne vient réguler. Madjid Bessila, président du Comité national des salles des fêtes (CNSF), affilié à l'Union générale des commerçants et des artisans algériens, est le premier à s'en plaindre : «Si les prix s'envolent de plus en plus et si le citoyen se trouve dépassé par le prix des salles des fêtes, c'est parce qu'aujourd'hui, les prix sont fixés de manière anarchique et on ne se base sur aucun barème !» S'il admet qu'il est difficile d'élaborer un barème national, «il faut absolument le faire au niveau régional». Entre gérants, un barème non officiel a, à un moment, circulé. «Mais quand on a demandé son officialisation auprès des autorités, elles n'ont pas pris en considération notre requête. Certainement pour protéger les biens de certains.» Afin de régler ce problème, le président du CNSF appelle à «organiser une table ronde avec le ministère de l'Intérieur et le ministère du Commerce pour établir un barème des prix basé sur une étude scientifique». Standing Mariage, fiançailles, circoncision... ces fêtes célébrées autrefois sur les terrasses ou chez soi ne se commémorent aujourd'hui que dans des salles des fêtes. Nadjet va marier sa fille aînée en juillet. «Il est clair que ce n'est pas donné de verser entre 200 000 et 700 000 DA rien que pour une salle, mais on ne peut pas faire autrement, affirme-t-elle. Je n'ai pas assez d'espace chez moi !» Une organisatrice de mariages nuance : «Les gens disent qu'ils n'ont pas le choix. C'est en partie vrai, car ils sont otages des gérants des salles des fêtes. Mais il faut le dire aussi : les gens veulent payer cher. Car c'est un signe de standing ! Concrètement, on ne peut pas proposer aux invités sept sortes de gâteaux, prévoir huit tenues pour une mariée et organiser la fête dans une salle à 10 millions !» Après pas moins de six mois de recherche, Nadjet a finalement loué une salle à 300 000 DA. A ce prix, elle aura droit, de 14h à 19h, aux murs, à l'animation musicale par un DJ et à de l'eau. «En général, l'eau est offerte, s'amuse Nesrine, dont la sœur se marie en juillet. Mais il faut prévoir plus, car on nous a dit que le quota de fardeaux attribués par les gérants ne suffisait pas !» La règle est la même pour tous : au prix de la salle, vous devez ajouter une enveloppe pour tous les services proposés par les propriétaires : la décoration, la vaisselle, l'animation musicale, les cuisiniers, le cameraman et/ou location de voitures ou de limousines… Décret Et tout cela a un coût ! «Au final, l'addition est très salée et peut s'élever jusqu'à 1 200 000 DA», déplore Houria, dont la fille se marie en juillet. «Il y a des salles qui offrent des amuses-bouches salés et sucrés, l'eau, le thé et le café au lait et plusieurs autres services supplémentaires. Cependant, certaines n'offrent rien du tout et, bien sûr, sont disponibles à des prix beaucoup moins chers», affirme Hind Aït Kaci, de l'agence Ti-Wedding qui organise des mariages depuis deux ans dans toute l'Algérie. Par ordre de préférence, les gens demandent d'abord les serveurs, la décoration et la vaisselle, le cuisinier, les boissons et la musique, note encore la professionnelle. Pour 300 000 DA, Nadjet ne pourra pas non plus proposer de parking à ses invités, contrairement... à ce que prévoit la réglementation. L'autre grand problème : des appartements d'immeubles s'improvisent aujourd'hui, appât du gain oblige, en... salles des fêtes ! Pourtant, les textes existent. Le décret n°05-207 du 4 juin 2005 classe les salles des fêtes au même rang que les salles de spectacles, de théâtre, de cinéma, les discothèques, cabarets, cirques, boîtes de nuit. Il exige entre autres que les gérants doivent avoir plus de 30 ans (pour exclure les crédits Ansej), une distance minimum entre la salle des fêtes et les mosquées/hôpitaux/cimetières ou encore que le nombre de décibels soit limité. Pour Rachid, un propriétaire de salle des fêtes à Alger, ce décret est tout simplement «arbitraire». Alors ils font ce qu'ils veulent. A commencer par fixer des tranches horaires. Un après-midi débute à 14h pour se terminer à 19h30. Une soirée court de 21h à 4h. Si sur le principe, les clients comprennent la nécessité de fixer des limites, ils invoquent le prix pour rappeler que l'heure est finalement cher payée. «Le propriétaire vous demande de vider les lieux avant 19h, car il a programmé un mariage juste après !», déplore Nadjet en soulignant qu'«en été, ce n'est pas possible de finir toutes les étapes de la fête en aussi peu de temps». Seulement voilà, encore une fois, c'est la loi de l'offre et de la demande qui affole le marché. Faute de salles, il faut quand on en tient une, y faire tourner un maximum de mariages. Contrôle Pour comprendre, il faut regarder les statistiques : chaque année, 386 000 unions sont célébrées en Algérie selon la dernière étude de l'Office national des statistiques (ONS). Entre la disponibilité et la capacité, les 300 salles autorisées à Alger ne parviennent pas à répondre aux besoins de tous. Pour le mariage de sa fille, Houria a été obligée de se déplacer jusqu'à Blida : «La capacité de la plupart des salles varie entre 200 et 300 personnes. Le peu de salles qui peuvent supporter jusqu'à 400 personnes et plus affichent des prix inaccessibles». «J'ai dû changer de wilaya et aller jusqu'à Blida pour trouver une salle qui me convienne à un prix qui ne dépasse pas mon budget», poursuit-elle. Hind de Ti-Wedding en est aussi consciente : «On fait face à un grand problème de disponibilité. Pour trouver une salle libre, il faut réserver au minimum six mois avant le mariage et ce n'est que rarement que la mariée trouve une salle à la date qui lui convient.» Selon elle, c'est ce manque de disponibilité qui oblige les mariés à envisager des noces quel que soit le mois de l'année, à l'exception du mois de Ramadhan. Sur ce point, Réda, de l'agence Dar Soltan, organisateur de fêtes et mariages, partage son avis et affirme : «La disponibilité des salles dépend des saisons. Il est plus facile de trouver une salle en mars qu'en août.» Si le client n'est pas content, le prix est le même. Et il ne trouvera personne vers qui se tourner pour se plaindre. Car depuis la fermeture de 60% des locaux pour insalubrité, manque d'hygiène et non-conformité aux lois régissant le secteur... en 2005, aucun contrôle ne vient réguler ce très juteux business. Madjid Bessila affirme qu'«on ne peut malheureusement pas contrôler le secteur des salles des fêtes tant qu'il n'y a pas de véritables visites d'inspection sur le terrain». Car les seules qui existent sont celles «des services d'hygiène des wilayas qui ne tournent qu'en été. Ce qui n'est pas du tout suffisant». Pendant ce temps, les propriétaires de salles des fêtes s'enrichissent. A raison de 250 000 DA un après-midi et 350 000 DA une soirée, une salle des fêtes rapporte en moyenne 4,2 millions de dinars par semaine. Soit par mois, quasi 17 millions de dinars. Une bonne base à laquelle viennent s'ajouter les bénéfices annexes liés aux prestations de services.