Au cours de ces dernières années, les travailleurs de différents secteurs ont bénéficié d'augmentations salariales parfois importantes. Parallèlement, les prix ont augmenté et le dinar a subi des dévaluations. Au final, quel a été l'impact de ces hausses ? Les augmentations salariales intervenues ces dernières années ont contribué effectivement à la hausse du salaire moyen de toutes les catégories socioprofessionnelles. Il faudrait cependant souligner que les catégories socioprofessionnelles qui ont vu leur pouvoir d'achat nettement s'améliorer sont les cadres. Le relèvement du SNMG a profité en effet beaucoup plus à ceux dont les salaires sont indexés au-dessus, à savoir surtout de titulaires de hauts salaires, et non les bas salaires qui sont les plus nombreux. Ceci dit, ces augmentations de salaires ne peuvent être appréciées en termes de pouvoir d'achat qu'en rapport avec le coût de la vie qui est tributaire du taux d'inflation, dont la hausse s'explique par la conjugaison de toute une série de facteurs internes (niveau de satisfaction de la demande nationale par la production domestique, et externe par le renchérissement des produits d'importation). Or, sur les deux registres la situation n'est guère reluisante. A cela il faut ajouter les subventions généralisées et non ciblées et les transferts sociaux qui compriment l'inflation. On peut affirmer donc, même en l'absence de données statistiques fiables, comme nous n'avons cessé de le dire, que la politique des salaires poursuivie ne répond guère aux critères d'efficience. Des augmentations de salaires sans rapport avec les critères de productivité et de rendement permettent certes une amélioration du pouvoir d'achat et par conséquent du niveau de consommation des ménages, notamment dans les catégories les plus larges de la population. Mais cette augmentation est conjoncturelle, elle ne durera que le temps de l'absorption par le marché de cette injection de masse monétaire, sans contrepartie productive. Nous nous sommes déjà exprimés il y a bien longtemps déjà dans les colonnes de ce même quotidien sur cette problématique. L'argumentaire n'a guère changé, la problématique demeure posée dans les mêmes termes. Il est universellement admis que les hausses de salaires ont un caractère inflationniste dès lors qu'elles excèdent les gains de productivité, car les entreprises et par-delà l'économie nationale ne peuvent supporter indéfiniment une forte divergence entre les progrès de la productivité et ceux des coûts salariaux. C'est dire combien il est important de s'interroger sur la relation prix-salaires-productivité d'une part, de s'interroger surtout sur la manière la plus saine et la plus efficiente de préparer, dans les faits, l'instauration d'une telle relation afin d'assurer une croissance et un développement durables. Nous avons publié un livre auprès de l'OPU en 2013 sur cette question de l'efficience de la politique des salaires, ouvrage intitulé Politique des salaires : fondements théoriques et analyse empirique de l'expérience algérienne. Et pour répondre finalement à la question posée, l'impact de ces hausses de salaires sur le plan social ne peut être qu'éphémère en l'absence de réformes structurelles de fond nécessaires pour poser les fondements d'une économie de marché performante et productrice de richesses L'épargne à laquelle appellent les pouvoirs publics est-elle possible dans ces conditions ? Rappelons quelques enseignements de la science économique pour éclairer le lecteur. Tout revenu est partagé en consommation et en épargne. La relation entre la consommation et le revenu peut s'exprimer par le biais des propensions à consommer. Conformément à un postulat (loi psychologique fondamentale) formulé par J. M. Keynes, la consommation s'accroît au fur et à mesure que le revenu croît, mais moins que proportionnellement ; par conséquent, la propension à l'épargne est plus forte chez les détenteurs de hauts revenus. L'analyse de Keynes a été vérifiée empiriquement en comparant à un moment donné les budgets de différents ménages ayant des niveaux de revenus différents et ceci sur une courte période. Ajoutons encore que l'analyse keynésienne reposait sur l'hypothèse du revenu courant : les changements de consommation de la courte période dépendaient des variations du seul revenu courant. Or, des auteurs, à l'instar de J. S. Duesenberry, ont montré que le niveau de consommation atteint pendant une période donnée dépend non seulement du revenu courant mais aussi du niveau le plus élevé atteint pendant la période précédente. Il s'ensuit qu'au cours d'une crise économique ou d'une récession, les consommateurs s'efforcent de défendre le genre de vie précédemment adopté. Cette persistance des habitudes de consommation se traduit en période de baisse conjoncturelle de pouvoir d'achat par une augmentation de la propension marginale à consommer. La consommation ne suit pas proportionnellement la baisse du revenu. C'est ce que l'on appelle l'effet Cliquet. Par conséquent et pour répondre à la question posée nouspouvons affirmer que dans les conditions présentes marquées par les restrictions budgétaires, par la dépréciation de la valeur du dinar, du renchérissement largement perceptible des produits de large consommation, les ménages ne pourront en toute logique dégager une épargne importante conséquemment à la baisse sensible de la propension marginale à l'épargne. Ceci étant, concernant les détenteurs de hauts revenus, pour se prémunir face à l'incertitude économique mais aussi politique inhérente à la crise et son cortège néfaste de conséquences qui engendre inéluctablement l'inflation, et donc la détérioration du dinar algérien, beaucoup vendent leurs biens pour acheter à l'étranger. Egalement, beaucoup de ménages placent leur argent épargné dans les valeurs refuges : or, devises et biens immobiliers ou durables. Par conséquent, les perspectives d'une mobilisation productive de l'épargne des ménages ne sont guère envisageables à terme. L'incertitude économique ne risque-t-elle pas d'aggraver la situation de cette catégorie sociale ? On parle désormais beaucoup de la classe moyenne en Algérie et pourtant très peu de recherches académiques lui sont consacrées. Des études permettant de cerner cette classe moyenne, non seulement par des indicateurs qualitatifs, mais aussi statistiques, ou précisément économiques dans la mesure où en l'absence de définition objective et consensuelle, on s'accorde sur plusieurs découpages selon différents critères qui ont chacun leur pertinence : le revenu, la profession et le sentiment d'appartenance… Rappelons très rapidement pour le lecteur que ce terme, cette expression « classe moyenne», a pris son sens usuel au tournant du XIXe siècle, où, avec le développement progressif de l'économie industrielle, des groupes sociaux sont apparus, qui n'appartiennent ni à la bourgeoisie ni au prolétariat. En Angleterre, la middle class désigne la nouvelle bourgeoisie industrielle et économique en compétition avec la noblesse (nobility) et la haute société (gentry). En France, les « classes moyennes», proches de ce que Karl Marx qualifie de petite bourgeoisie, vont désigner dans le discours politique ces nouvelles couches qui, dotées d'un minimum de capital, échappent à la vie au jour le jour qui est le lot du prolétaire, sans pour autant pouvoir se permettre l'oisiveté du bourgeois. Par ailleurs, il est partout noté que les classes moyennes partagent aussi une ambition d'ascension sociale. Ce groupe social aux frontières floues joue partout un rôle central dans la dynamique sociale. La réussite économique du Brésil est, nonobstant la conjugaison d'autres facteurs, due à l'élargissement de sa classe moyenne. Les difficultés que peuvent connaître ces classes moyennes retentissent sur l'ensemble de la société. En Algérie, on a observé au cours de cette dernière décennie des transformations remarquables suite aux importantes revalorisations salariales dont ont bénéficié surtout les cadres dont le statut a connu conséquemment un changement notable illustré par l'accès à un modèle de consommation auquel ils ne pouvaient guère aspirer avec le niveau de rémunération antérieur. Cette évolution peut-elle être entretenue et renforcée dans le contexte actuel et les perspectives qui en découlent ? Certainement pas, même si en l'absence d'études d'impact nous ne pouvons que spéculer. En période de crise et d'incertitude économique, les risques d'aggravation de la situation socio-économique sont généralement beaucoup plus prononcés envers les classes moyennes qu'envers les plus démunis. Ces derniers sont habitués à une vie sobre, ils n'ont pas accédé à un niveau de consommation élevé nécessitant des revenus conséquents. Ainsi, si on considère donc que les augmentations de salaires ont profité surtout à la classe moyenne, les détenteurs de revenus de plus de 70 000 DA que les revenus perçus n'étant pas corrélés positivement avec la création de richesse par le travail mais par la redistribution de la rente, on ne peut s'attendre dans les conditions actuelles, d'une part, à des augmentations de salaires à terme pour corriger la dégradation du pouvoir d'achat comme cela a été pratiqué durant cette dernière décennie compte tenu non seulement de la baisse des prix des hydrocarbures, mais sans doute plus encore de l'amenuisement des réserves et du développement de la consommation domestique, et, d'autre part, par le renchérissement du coût de la vie suite aux augmentations des prix des biens et services, cette catégorie sociale sera certainement touchée et verra sa situation socio-économique et son niveau de vie se réduire.