Obnubilée par l'Europe du fait de sa dépendance aux hydrocarbures, l'Algérie tente fébrilement d'approfondir ses dimensions africaine, maghrébine et arabe. Depuis le début de la crise et la chute des cours du pétrole, l'Afrique est revenue dans les discours officiels et ceux des chefs d'entreprise comme une destination à conquérir à travers les exportations, mais aussi l'investissement. Le Forum des chefs d'entreprise, en particulier, a multiplié les déclarations sur cet eldorado africain, si proche mais tellement inaccessible. «Au vu de la situation sécuritaire actuelle notamment en Afrique subsaharienne, il est impossible d'investir là-bas», reconnaît Tayeb Ezzraïmi, PDG du groupe SIM et membre du FCE. Pourtant, dit-il, «la volonté y est et le marché aussi». L'Afrique ne pèse pas très lourd sur l'échiquier économique algérien. Les chiffres de l'Agence nationale de développement des investissements (ANDI) ne font état que d'un seul projet déclaré sur la période 2002-2015. Sur le plan commercial, le continent noir pèse moins de 1% dans la structure des échanges globaux de l'Algérie. En 2015, l'Algérie y exportait pour moins de 100 millions de dollars de marchandises et importait pour 350 millions de dollars. Comment y percer quand on est si faiblement présent ? Des entreprises dans l'agroalimentaire, essentiellement, ou dans le médicament, exportenr déjà vers l'Afrique. D'autres, comme Cevital, sont annoncés dans des projets d'investissements dans plusieurs pays du continent, mais rien de concrétisé jusque-là. Pour Ali Bey Nasri, président de l'Association des exportateurs algériens, «l'Afrique n'est pas facile. Nous participons à la foire de Dakar depuis 20 ans, nous organisons des expéditions spécifiques, mais nous n'avons jamais rien eu à part quelques opportunités au Niger». L'Afrique peut être un marché porteur, dit-il, à condition d'avoir «une stratégie, d'être capable d'identifier les besoins et s'y adapter pour y répondre». Sans oublier que ce n'est pas un marché vierge, d'autres pays y ont leurs traditions. Certaines entreprises ont tout de même réussi, c'est le cas du groupe SIM, qui est «en cours de négociations pour des projets d'investissements au Niger et en Mauritanie» et qui exporte déjà dans 7 pays d'Afrique subsaharienne, selon son PDG. Les entreprises capables de s'aventurer ne sont pourtant pas nombreuses. Selon Tayeb Ezzraïmi, «il faut avoir une bonne surface financière, car on ne vous paye pas cash. C'est dont au détriment de notre trésorerie». Le problème se pose aussi en termes de «capacité de production» et d'accompagnement. Entre 2010 et 2013, l'Algérie a effacé plus de 900 millions de dollars de dettes pour 14 pays africains, sans aucune contrepartie. L'une des options pour aider l'implantation des produits algériens serait, selon Ali Bey Nasri, de mettre à disposition de certains pays des crédits revoloving pour l'achat de produits algériens. «Le lobbying politique n'est pas traduit sur le terrain», déplore-t-il, de même qu'il n'y a pas d'externalisation bancaire qui faciliterait les échanges. En matière d'investissement, les besoins du continent sont importants dans le secteur industriel, mais pour Ali Bey Nasri «l'investissement n'est pas conseillé car les coûts de production sont élevés, l'énergie coûte trop cher et il y a un manque de main-d'œuvre qualifiée»
De l'intégration régionale En fait, c'est toute l'intégration économique régionale de l'Algérie qui est en question. A en croire un récent rapport sur l'Indice de l'intégration régionale en Afrique (IIRA), qui mesure les progrès enregistrés en la matière par les pays africains au sein des différentes communautés économiques du continent, l'Algérie est classée parmi les élèves tout juste moyens. L'IIRA est le fruit d'une coopération entre la Banque africaine de développement (BAD), la Commission de l'Union africaine (CUA) et la Commission économique pour l'Afrique (CEA). L'objectif étant de donner une vue globale sur le continent à travers la mesure de cinq dimensions : l'intégration commerciale, les infrastructures régionales, l'intégration productive, la libre circulation des personnes et enfin l'intégration financière et macroéconomique. Le score de l'Algérie est en dessous de la moyenne dans la zone du Maghreb (UMA) avec un indice de 0,4 sur 1 (graphe 3). Son meilleur résultat est enregistré dans la dimension libre circulation des personnes (0,8 sur 1, le plus élevé dans la zone UMA), son plus faible étant l'indicateur en matière d'intégration financière et macroéconomique (0,1). Globalement pourtant, le score de l'UMA par rapport aux sept autres communautés économiques régionales (CER) prises en compte dans le rapport, à savoir Communauté d'Afrique de l'Est (CAE), Communauté économique des Etats de l'Afrique centrale (Ceeac), Communauté économique des Etats d'Afrique de l'Ouest (Cedeao), Communauté des Etats sahélo-sahariens (CEN-SAD), Marché commun de l'Afrique orientale et australe (Comesa), Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC), n'est pas mal, puisque l'Union affiche des indices supérieurs à la moyenne des huit communautés dans 3 des 5 dimensions considérées. Les points faibles de la région étant la libre circulation des personnes et l'intégration financière. Dans le monde, le Maghreb est une des régions les moins intégrées économiquement, avec des échanges commerciaux intermaghrébins ne dépassant pas les 3% du total des échanges commerciaux avec l'extérieur, alors que pour les autres groupements économiques il serait autour de 60% environ pour les pays de l'Union européenne, 56% pour l'Alena et 23% pour l'Asean. Le volume des investissements inter pays du Maghreb plafonnerait lui aussi autour de 5%. Les échanges de l'Algérie avec les pays de l'UMA représentent autour de 6% des échanges globaux du pays, soit un peu plus de 2 milliards de dollars en 2015. En matière d'investissement, ce n'est pas mieux puisque les projets recensés se comptent sur les doigts de la main (graphe 2). Sclérosé par des tensions politiques, les relations de l'Algérie au sein de l'UMA peinent à se développer dans le sens d'une véritable intégration économique qui ferait gagner aux pays de la région 2 points de croissance économique si elle était effective, selon le secrétaire général de l'Union. Quant aux autres pays arabes, les résultats de l'adhésion de l'Algérie à la zone arabe de libre échange montre que le commerce ne suit pas la tendance des investissements. Selon les statistiques douanières, l'Algérie importe trois fois plus de produits des pays arabes qu'elle n'en exporte. Pour Tayeb Ezzraïmi, c'est «dû à une question de mentalités de ces pays qui valorisent davantage ce qui vient de l'Occident, mais aussi à la capacité des entreprises algériennes de prendre des engagements et de s'y conformer en temps et en volume». Or «de grosses entreprises, il n'y en a pas beaucoup en Algérie». L'expert Ali Bey Nasri met quant à lui en avant «un manque de compétitivité de nos entreprises avec une valeur ajoutée locale faible autour de 25% à 30% et un manque d'intégration verticale». Tout «vient de l'étranger», souligne-t-il. Avec un tel constat, le poids du traditionnel partenaire européen dans la configuration des relations économiques et commerciales algérienne n'est pas près d'être égalé de sitôt.