- Maintenant ils peuvent venir est d'abord un roman connu. C'est l'un des premiers à aborder directement les violences des années 1990 en Algérie. Pourquoi le choix de ce roman et cette thématique ? Cela vient d'un besoin très intime. Un besoin d'individus, de citoyens et du réalisateur de regarder Le loup dans l'oeil. En tant que documentariste et producteur, j'ai fait pas mal de films en Algérie. En voyageant dans le pays, on sentait cette chose qui est partout et nulle part à la fois. C'était la décennie noire. On ne peut pas la saisir de la main, mais on sent qu'elle est là. Dans ce que les gens disent ou ne disent pas, dans les stigmates que la société ressent et dans la sécurité. La rencontre avec le roman d'Arezki Mellal a été organisée par la productrice Michèle Gavras. C'est comme une histoire d'amour. C'est donc un besoin intime qui a rencontré un roman, le tout a donné un film. - Vous avez co-écrit le scénario avec Arezki Mellal. Comment la collaboration s'est-elle faite ? Nous n'avons pas obéi à la règle cardinale qui fait qu'on doit courir aussi loin que possible de l'auteur lors de l'adaptation d'un roman. L'auteur a un point de vue, cela peut devenir une prison. J'ai passé dix jours avec Arezki Mellal pour voir si nous pouvons co-exister ensemble sur le plan politique et sur le plan de la narration. Nous étions suffisamment convergents pour pouvoir fonctionner ensemble et suffisamment différents pour pouvoir se stimuler l'un et l'autre. Il faut avoir beaucoup de générosité pour accepter de trahir son roman pour faire un autre objet qu'on ne maîtrisera pas qui est un film. Je ne suis pas certain, si j'avais un aussi beau roman, d'avoir la même générosité. Nous avons coupé, malmené, changé. Nous avons trahi le roman pour lui être fidèle. - Vous avez décidé de maintenir le titre du roman pour le film ? Je trouve que c'est un très beau titre. Le titre en arabe a été changé pour devenir : Conte de nuits noires. Titre différent donc, parce que Maintenant ils peuvent venir, ça ne donne pas en langue arabe. - Le film se situe bien dans une décennie 1989-1999, mais vous semblez avoir survolé l'époque dans votre film…. Quand on veut tout dire, on ne dit rien. Filmer, c'est choisir. Et tout choix est contestable. Cela fait partie du jeu. Nous avons commencé le film en 1989 parce qu'avant, les Algériens avaient connu une année chargée, 1988. Le point de bascule de 1990, c'est autre chose. Nous avons donc fait des choix pour nourrir l'histoire de nos deux personnages. - Le documentariste Salem Brahimi est bien présent dans le film. Vous êtes restés attachés au réel... Le film est très bien écrit. Un film, ce n'est pas que la caméra. C'est un scénario et de la direction d'acteurs. J'ai passé deux ans à faire de la fiction, à user un scénario, à diriger des acteurs, à faire un montage dynamique. On dit que nous avons survolé la période historique, cela veut dire que nous avons de l'énergie. Nous revendiquons le choix d'avoir fait des images brutes et d'avoir été près des personnages avec la caméra à l'épaule. C'est un choix induit par la sobriété que la décennie noire appelle. Je crois que faire des effets de style ou d'esthétique sur quelque chose d'aussi grave serait de mauvais goût. - Et pourquoi avoir choisi un chanteur, Amazigh Kateb, pour le premier rôle au lieu d'un comédien professionnel ? C'est une bonne question et c'est fragile comme réponse. Le personnage de Noureddine devait avoir un certain charisme et une certaine sensibilité, une douceur. Il devait également être enraciné en Algérie. Amazigh Kateb a tout cela. Amazigh est un chat, il a quelque chose d'intuitive. Il ne travaille pas son charisme. Le charisme est dans son ADN. Donc, on comprend pourquoi le personnage de Yasmina est capté par le regard de Noureddine dans le film. Nouredine représente les Algériens mais a un regard différent, un peu poète sur les bords. Il rêve d'écrire. Il y a donc un équilibre fragile que Amazigh Kateb pouvait assurer. Nous avons fait le tour des acteurs lors du casting pour finalement revenir à Kateb.