Il interprète le rôle de Noureddine, un homme en souffrance. Est-il un journaliste ou poète? En tout cas il passe son temps à écrire sur un cahier de classe. Une façon de témoigner de ce qui arrive? Un homme dont le corps est en Algérie, mais le coeur en France car celle qu'il aime est partie et il est obligé de se marier avec une autre, sa voisine Yasmina pour faire plaisir à sa mère, acariâtre, alias Farida Saboundji dans l'éternel rôle de la mère autoritaire. Dehors, la violence intégriste et terroriste gronde et va crescendo... C'est le premier grand rôle de Amazigh Kateb au cinéma, lui qui est familier de la scène, puis des planches, tente le coup du plateau ciné d'une façon remarquable. Il nous parle de son expérience... L'Expression: La scène finale du film vous en pensez quoi? Amazigh Kateb: C'est justement cette scène qui a fait que j'ai eu envie de faire ce film-là... Cette scène on la vit tous les jours. On étouffe nos enfants pour leur sauver la vie, du viol, de la hogra... Dans ce pays on se tue nous-mêmes. Le personnage principal dans le film fait cela (à propos de la séquence finale qu'on ne dévoilera pas). C'est aussi cela la décennie noire, on est arrivé tellement à avoir peur pour ceux qu'on aime, qu'on s'est mis à les tuer et tuer ce que nous sommes. On est en train de vivre aujourd'hui cela. Est-ce qu'il y a une note d'espoir aujourd'hui dans ce pays?, Là, je ne parle plus du film. Il y a eu la décennie noire, la décennie grise, le peuple est là, les enfants seront toujours là. Mais la note d'espoir est-ce qu'elle existe? Cette question je la pose réellement aux Algériens. Est-ce votre engagement politique qui vous a aussi poussé à accepter ce rôle? J'ai accepté ce rôle en tant qu'artiste parce que je n'ai jamais fait de cinéma, mais j'avais envie d'essayer. Ce livre m'a plus et Salem Brahmi je m'entends bien avec lui. Mais moi aussi je trouve qu'il y a plein de choses qui manquent par rapport à cette époque-là, à toute la souffrance qu'a connue ce pays, mais ce n'était pas le propos du film, il s'agissait de raconter une tranche de vie, sinon tu fais 15 livres. Ce n'est pas un film qu'il faut faire. Ce n'est pas que moi dans ce film. Il s'agit de projeter la parole de l'Autre. Dans l'expression c'est permettre l'expression. Une des victoires de Gnawa Diffusion c'est d'avoir décomplexé les groupes gnawa et de leur avoir permis de dire des choses aussi. Si tu te décomplexes tu peux aider les autres à se décomplexer. La société marche aussi par mimétisme. Moi j'ai eu envie de faire de la musique en regardant des gens faire de la musique. Comment ça a été de jouer dans un film, vous qui êtes habitué à la scène? Je n'ai pas l'habitude de travailler avec les caméras, mais avec un public. J'ai l'habitude d'échanger avec le public, je prends la moitié de l'énergie des gens. Au cinéma tu dois donner ta confiance au réalisateur car c'est lui qui regarde et qui juge si tu es bien ou pas. Dans mon travail musical je n'ai pas l'habitude qu'on me dirige, je suis mon propre chef. Jouer un rôle, ça m'a donné une autre vision, être l'instrument d'une autre création. J'ai fait partie d'un grand défi qui est un film. Ce fut pour moi une très belle expérience. Je ne suis pas acteur, mais plutôt musicien. C'était difficile par moment, notamment de ne pas sourire il fallait que je boude. Or, moi je préfère bouder quand je le fais, moi, pas quand on me le demande. Je n'ai fait aucun casting dans ma vie, mais je ne suis pas fermé à de nouvelles expériences de cinéma. Pour les journalistes qui ont vécu de près cette période, je pense qu'ils n'auront aucun film qui puisse être tout aussi puissant pour eux car vous, vous avez vécu cela, c'est très difficile d'atteindre une réalité aussi barbare avec un film de 90 mn et surtout quand l'adaptation est celle d'un film et non pas un film sur une époque. C'est un roman qui se passe à une époque, mais ce n'est pas un film sur cette époque-là. De la musique au cinéma en passant par le théâtre, comptez -vous poursuivre votre carrière dans le cinéma? Je suis ouvert à toute proposition cinématographique. J'ai même envie d'apprendre à faire du montage d'images. On est dans une époque où les arts se touchent. J'aurai envie de poster des images de mes concerts. On m'a proposé d'autres scénarios. Mais je n'ai pas trop l'habitude de lire des scénarios, mais plutôt des livres. J'ai lu celui-là et il m'a foudroyé. D'ailleurs, quand j'ai vu le réalisateur je lui ai dit que le scénario est moins bon que le livre. C'est souvent le cas. Car tu es obligé d'enlever des choses, de faire des coupes, mais ça m'intéressait vraiment de faire ce film parce que avec Salem il y a un courant qui est passé, ça parle d'une époque que je n'ai pas vécue j'étais insoumis, j'étais en France, je devais faire mon service militaire, si je rentrais j'allais faire deux ans dans le Sahara, ce n'était pas du tout mon rêve, or je commençais à peine Gnawa en 1992. J'avais donc besoin de travailler sur cette époque-là, autrement qu'en musique. Car j'ai aussi écrit en musique sur cette époque même si je l'ai vécue de loin, mais le fait de participer dans un film en étant dans l'écriture de quelqu'un d'autre ça m'a fait du bien et permis de me distancier et de mon époque et de moi-même et de l'avenir. Sinon, pour l'instant, j'ai le projet d'un documentaire coréalisé avec Amine Kouider, un homonyme avec l'autre musicien et chef d'orchestre. C'est un jeune réalisateur qui a travaillé avec la fondation David Lynch, aux USA, c'est là-bas que je l'ai rencontré. Il a commencé à filmer notre tournée puis on s'est lancé dans un 52 mn. Ce sera une rétrospective Amazigh Kateb.