Cherche-t-on à enterrer l'affaire du journaliste Mohamed Tamalt, mort en détention dans des conditions non encore élucidées ? Mises dans un embarras total, les autorités concernées ont tenté d'éteindre le «feu». C'était peine perdue. Le communiqué de l'administration pénitentiaire et la déclaration de ministre de la Justice et garde des Sceaux, Tayeb Louh, n'ont convaincu ni la famille du défunt, ni ses avocats et encore moins une opinion publique visiblement en colère. Les appels pour une enquête indépendante pour déterminer les circonstances de la mort du journaliste se multiplient. Pas moins de 45 parlementaires ont introduit une demande de la mise en place d'une commission d'enquête parlementaire pour «élucider les circonstances du décès du journaliste Mohamed Tamalt en prison». Signée par des députés appartenant essentiellement au groupe parlementaire de l'Alliance verte, du Front de la justice et du développement et de non-inscrits comme Karim Tabbou et Ahmed Betatache, la demande introduite par le député Nacer Hamdadouche explique que «les conditions de l'incarcération du journaliste après son retour au pays et la nature de la peine qui lui a été infligée sont en contradiction avec la Constitution, notamment dans son chapitre IV ayant trait aux droits et libertés». «Les chefs d'inculpation pour lesquels le journaliste a été poursuivi n'étaient pas privatifs de liberté». Les députés, dans leur motion, estiment que la mort d'un journaliste en prison constitue «un précédent grave dans l'histoire de l'Algérie indépendante, au moment où nous célébrons la Journée internationale des droits de l'homme». L'indignation est totale et l'affaire a pris de l'ampleur. Des partis politiques, comme le FFS, le RCD et le PT, ont également revendiqué que la lumière soit faite sur le décès du journaliste et appuient «la quête légitime de la vérité sur sa mort réclamée par sa famille». Le Syndicat national des journalistes impute la responsabilité morale au pouvoir «Dans cette affaire qui se termine de manière tragique, le pouvoir en impute l'entière responsabilité morale pour, au moins, non-assistance à personne en danger, du fait même du maintien de notre confrère en détention malgré la dégradation de son état de santé», accuse le SNJ. Des ONG nationales et internationales des droits de l'homme réclament aussi la vérité sur ce drame. De différents bords, des personnalités politiques expriment également leur indignation. «Dans la conjoncture actuelle, sous réserve des résultats de l'enquête appelée à faire la lumière sur cette tragédie, on peut considérer a priori qu'un journaliste emprisonné aujourd'hui en Algérie peut être crédité d'un préjugé l'indexant au minimum comme un professionnel refusant d'accompagner la meute. Pour cela déjà, indépendamment de ses convictions personnelles, notre mémoire collective doit intégrer Mohamed Tamalt dans la trop longue liste des journalistes martyrs», fulmine l'ancien président du RCD, Saïd Sadi. Il faut dire que durant son incarcération, le défunt journaliste n'a pas bénéficié de la solidarité nécessaire. Certains par résignation, d'autres jugeant qu'il était indéfendable au regard de la manière de faire son métier. «Qu'on ne se trompe pas de débat ! Il ne s'agit pas de juger de l'éthique du journaliste ni d'apprécier la peine qui lui a été infligée. Mais de s'interroger sur la mort — suspecte — d'un prisonnier», recadre le journaliste et militant politique Arezki Aït Larbi : «Laisser mourir un détenu en grève de la faim relève de la non-assistance à personne en danger. Mais lorsqu'on apprend que ses avocats avaient déposé plainte, en octobre dernier, contre le directeur de la prison de Koléa, suite au constat par le frère de Mohamed Tamalt, de blessures sur la tête du détenu, il s'agit bien d'une présomption de meurtre que seule une enquête impartiale pourra élucider.» Charge-t-il celui qui a eu à en découdre avec la justice et qui a bien connu les conditions carcérales sous la dictature du parti unique. Il s'interroge même si le pays n'est pas en train d'opérer un «retour vers les années de plomb». «La mort suspecte de Mohamed Tamalt ne concerne pas les seuls journalistes. Elle interpelle la conscience de chaque citoyen. Une enquête indépendante et impartiale s'impose pour établir la vérité», interpelle-t-il encore. Du côté de la défense, on ne veut pas «lâcher l'affaire», malgré les tentatives visant à l'étouffer. Un des avocats de la défense, Amine Sidhoum, entend réclamer le dossier médical complet du défunt et ne pas se suffire du rapport d'autopsie. «Nous allons formuler une demande officielle au ministre de la Justice, au procureur général ainsi qu'aux procureurs de Bab El Oued et de Koléa. Nous allons également saisir le chef de l'Etat», a indiqué Me Sidhoum. Il récuse les déclarations du ministre de la Justice qui avait déclaré que le rôle de son département s'est terminé juste après le procès. «Nous allons prouver au ministre que la justice a à voir dans cette tragique affaire. Nous voulons savoir pourquoi il a été transféré à Koléa, les raisons exactes de son évacuation à l'hôpital et le suivi effectué. Nous avons beaucoup de questions sans réponse. Pourquoi a-t-on dû attendre deux mois et demi pour obtenir l'autorisation de lui rendre visite ?» réplique l'avocat. L'affaire ne fait que commencer.