C'est avec dans ses bagages la phrase choc – «La colonisation est un crime contre l'humanité» – prononcée lors de sa campagne électorale, qu'Emmanuel Macron arrive à Alger mercredi 6 décembre. Alors que Abdelaziz Bouteflika, via un message de la Présidence, a rappelé en juillet que «le peuple [algérien] exige toujours une reconnaissance de ses souffrances de la part du colonisateur d'hier», et que la France reconnaisse officiellement ses «crimes» et s'en excuse, la marge de manœuvre du président français est serrée. D'abord parce qu'en 2012 à Alger, François Hollande était déjà, selon les historiens français, allé très loin en reconnaissant «les souffrances» infligées à l'Algérie par la colonisation et en qualifiant le système colonial de «profondément injuste et brutal». Des propos suivis ensuite par des gestes forts : en avril 2015, Jean-Marc Todeschini, alors secrétaire d'Etat français chargé des Anciens combattants, se rend à Sétif dans le cadre des commémorations des massacres du 8 Mai 1945 – une première pour un membre du gouvernement français. En juin 2016, autre geste fort : Tayeb Zitouni, ministre des Moudjahidine, se rend à Paris, une visite qualifiée d'«historique» par Paris et Alger. Pour la diplomatie française, l'inédite participation de soldats algériens au défilé du 14 Juillet en 2014 avait aussi été «un signal fort». Ensuite, parce qu'après les promesses est venu le temps de la realpolitik. Comme le soulignait Benjamin Stora en septembre dernier à Oran – il était invité par les autorités pour animer une conférence sur les origines du nationalisme algérien, l'apaisement des relations algéro-françaises «implique un travail de deuil que doit faire la France en acceptant sa défaite». Or, pour ce qu'il appelle «les groupes mémoriaux», pieds-noirs (anciens habitants français de l'Algérie), harkis (supplétifs algériens de l'armée française), nostalgiques de l'OAS, etc., l'histoire de la présence française en Algérie plus généralement a longtemps été (et reste encore) un sujet de controverses, capable de raviver les tensions. «Il est peu probable que le chef de l'Etat s'engage plus avant et il est à craindre que les déclarations du candidat Macron seront, hélas une fois encore, contredites par les actions du président Macron», déclarait en septembre le politologue français Olivier Le Cour Grandmaison, aussi signataire, avec d'autres personnalités, dans le cadre du Collectif du 17 Octobre 1961, d'une lettre appelant Emmanuel Macron à faire connaître sa position sur les crimes d'Etat. «Que l'Etat français reconnaisse sa responsabilité dans l'internement arbitraire, pendant la Guerre d'Algérie, d'Algériens dans des camps. Que la liberté d'accès aux archives soit effective pour tous, historiens et citoyens. Que la recherche historique sur ces questions soit encouragée, dans un cadre franco-algérien, international et indépendant», revendique le collectif. Selon le secrétaire national de l'ONM, les relations de coopération entre l'Algérie et la France restent au contraire «tributaires de la concrétisation de ces demandes, un maillon du parcours de la lutte nationale qu'il y a lieu de parachever». Pour le chef de l'Etat français qui cherche à réconcilier ces «mémoires concurrentes», il reste toutefois de la place pour des gestes forts, comme la restitution à l'Algérie des crânes de moudjahidine aujourd'hui entreposés au Musée de l'Homme à Paris. Le secrétaire général de l'Organisation nationale des moudjahidine (ONM), Saïd Abadou, a insisté, en octobre dernier, à l'occasion de la célébration de la Journée nationale de l'immigration, sur la nécessité d'exiger des autorités françaises des excuses au peuple algérien, l'indemnisation pour les richesses spoliées durant la période coloniale et la restitution des crânes des anciens combattants «pour les inhumer dans les cimetières de chouhada en Algérie». Plusieurs intellectuels français et algériens – dont les historiens Benjamin Stora, Mohammed Harbi ou Malika Rahal, ou l'écrivain Didier Daeninckx – avaient, en juillet 2017, demandé la restitution des crânes des révoltés de 1849 à l'Algérie, estimant qu'«ils n'ont rien à faire» au Musée de l'Homme. Avant eux, en mai 2011, une pétition avait été lancée par l'archéologue et historien algérien Ali Farid Belkadi, «pour le rapatriement des restes mortuaires algériens conservés dans les musées français», en particulier les crânes de ces résistants algériens tués et décapités par le corps expéditionnaire français dans les années 1840 et 1850. Dans l'appel de juillet 2017, les intellectuels précisent toutefois que cette revendication «ne revient aucunement à un quelconque tropisme de ‘‘repentance'' ou une supposée ‘‘guerre des mémoires'', ce qui n'aurait aucun sens. Il s'agit seulement de contribuer à sortir de l'oubli l'une des pages sombres de l'histoire de France, celles dont l'effacement participe aujourd'hui aux dérives xénophobes qui gangrènent la société française.» A l'occasion de sa visite au Burkina Faso cette semaine, Emmanuel Macron a affirmé : «Je suis jeune, je suis comme vous, né après la colonisation, je ne vais plus être coincé avec les anciens chefs d'Etat africains.» Selon le spécialiste français de l'Afrique Antoine Glaser, le chef de l'Etat français «refuse l'héritage du passé». Cette visite à Alger dira si c'est vraiment le cas.