Les artistes oranais sont-ils marginalisés par la télévision algérienne ? Le sentiment existe et c'est en tout cas ce que nombre d'« acteurs » expriment en estimant à l'unanimité que c'est ce qui a entraîné la prolifération des fictions écoulées directement sur le marché via le support DVD ou VCD. Oran. De notre bureau Un marché qui a généré ses propres règles avec ses « boîtes de production », ses réseaux de distribution mais aussi son circuit de piratage et ses points de vente informels. Pour les plus chanceux comme Houari du trio El Amdjad, le ton est mesuré. « Nous aurions voulu que la série Rbah ya khasser, réalisée par Zakaria, passe en prime time, malheureusement, ce n'est pas le cas et cela nous a fait un peu mal au cœur du fait également qu'elle passe uniquement sur la chaîne terrestre, mais si je le dis, c'est que, sans prétention, je peux affirmer que nous avons acquis une estime auprès d'un public très large », déplore cet ancien élève (1986) du TTO (Théâtre des travailleurs d'Oran), une des pépinières du théâtre amateur et qui a travaillé 4 années avec le défunt Hdidouane avant de fonder, en 1994, le trio El Amdjad avec Adad Abdelkader et Nordine. Ce dernier a fini par partir à l'étranger et a été remplacé un peu plus tard par Bakhta, elle-même issue d'une autre compagnie de théâtre amateur. Paradoxalement, c'est la télévision algérienne qui a propulsé, avec l'émission « Bila Houdoud », les pères fondateurs des sketches oranais Mustapha, Hazim et Hamid qui ont donné l'exemple et inspiré beaucoup d'autres artistes. « Quand la télévision a cessé de donner du travail, nous nous sommes retrouvés au chômage et c'est pour cela que nous nous sommes lancés dans ces expériences privées », ajoute Houari qui dit se soucier de la qualité par opposition aux « sketches chorba » qui n'ont aucune saveur. Aujourd'hui sur le marché, beaucoup de « films » (les formats sont étirés à plus d'une heure pour ressembler aux copies DVD extraites des bandes des vrais films cinématographiques) sont non seulement de très mauvaise qualité mais ni les réalisateurs, ni les cameramen, ni les acteurs n'ont fait de la télé ou reçu une quelconque formation. Houari reconnaît cet aspect, mais, à l'instar de la sienne, certaines boîtes de production tentent de faire des efforts en travaillant avec des professionnels. « Le problème avec la télévision, explique-t-il, c'est qu'on dit que nous avons trois chaînes mais en réalité nous en avons une seule et je ne comprend pas pourquoi elles passent exactement le même programme aux heures de grande écoute comme on l'a vu durant le Ramadan. Cela limite le nombre de productions qui peuvent être programmées alors qu'il aurait été plus judicieux de laisser le choix au téléspectateur et là on verra qui est populaire et qui ne l'est pas. « Réalisateur, Mesri El Houari a toute une histoire avec la station régionale de la télévision au sein de laquelle il travaillait avant d'être éjecté en 1995, accusé, dit-il, d'avoir volé 800 DA ». Pour l'anecdote, cette accusation se retrouve dans une réplique de son premier film qu'il a intitulé les 4 salopards. « Ils m'ont accusé d'avoir volé 800 DA et maintenant, je reviens pour me venger », déclare le personnage central du film réalisé en 2003. Mais la vengeance de Mesri est symbolique en voulant à tout prix réussir. Depuis, il a réalisé Laâdjeb fi lamdina (2005) et La porte de sécurité en 2007. Lui considère que la ville d'Oran avec son potentiel artistique et du fait qu'elle renferme beaucoup de talents est, contrairement à la situation qui prévalait durant les années 1970, très mal représentée à la télévision. Issu du conservatoire où il s'est initié au chant, il s'efforce toujours d'apporter du sens et beaucoup de morale (Laâdjab fi lamdina) aux travaux qu'il réalise comme cet attachement, même s'il reste naïf, superficiel et plutôt stéréotypé, à la cause arabe dans La porte de sécurité. Dans ce travail, on décèle par contre l'intrusion du concept de djinn dans la représentation d'un extraterrestre (opposition mysticisme/science). Un amalgame inconscient accentué par certains choix techniques comme le défilement du texte introducteur copié à l'image du générique de début de film de la trilogie La guerre des étoiles de Georges Lucas ou alors les portes qui donnent sur des univers différents, une pâle copie d'une scène de la trilogie Matrix des frères Watchowski. Il a réalisé un court métrage intitulé Le cadeau qu'il a déposé à la télévision mais qui n'est jamais passé. Mesri accuse les responsables de la programmation qui, dit-il, privilégient certaines boîtes de production. Pour lui, les responsables de la télévision ont cassé des talents à Oran ou du moins ne leur ont pas permis d'évoluer. Il cite également en exemple le mode de rémunération qui, selon lui, n'est pas équitable entre les comédiens qui ont participé dans les dernières fictions (de toute façon la qualité laisse à désirer) financées dans le cadre Alger capitale de la culture arabe. Cet ancien chanteur amateur de style oriental a été parmi les artistes qui, il y a plus d'une année, ont organisé une rencontre de protestation au siège d'un journal local et qui ont rédigé une lettre ouverte au président de la République pour exiger une « distribution équitable ». Pour n'avoir pas demandé de travailler à la télévision (malgré quelques petits rôles qu'il a tenus ça et là : des apparitions dans 3 épisodes du feuilleton Ya liyam ou Nas el houma) Houari Louz, qui a participé dans plus d'une vingtaine de fictions DVD ou VCD toujours avec son ami le réalisateur Kadour Brahim Mohamed qu'on considère être le pionnier du film vidéo à Oran (vers 1997 à l'époque du support VHS) est plus modéré à ce sujet. « Le défaut existe mais la responsabilité est partagée », soutient cet ancien comédien du théâtre amateur qui a eu plusieurs prix à son actif avant d'intégrer le théâtre professionnel depuis 5 ans avec le metteur en scène Adar. « En plus, ajoute-t-il, le problème concerne toutes les stations comme Béchar, Ouargla, etc. car tout est centralisé à Alger. » Selon lui, les comédiens algériens sont presque au même niveau si ce n'est, ironise-t-il, des caractères physiologiques liés à la taille, au poids, etc. Il met en avant le concept de « nécessité de situation » pour expliquer comment les réalisateurs installés à Alger font appel à des comédiens d'ailleurs et d'Oran en particulier pour remplir un vide. En contrepartie, il considère que la manière avec laquelle la publicité interfère avec le déroulement de l'intrigue dans beaucoup de films produits dans le circuit parallèle rend ces derniers inexploitables à la télévision. Cet acteur à qui on confie souvent les rôles qui rendent compte de la dualité monde rural/monde urbain (ils exigent tous des interprétations différentes d'un film à un autre) déplore cet état de fait caricatural au point où on parle de « tabrah dans le film », car ceux qui contribuent avec un peu d'argent (les sponsors) exigent de citer des noms de personnes réelles ou alors montrer un membre de sa famille et faire jouer des scènes à des proches qui n'ont aucune notion de comédie. Quoi qu'il en soit, malgré les imperfections, à Oran durant le Ramadan, les gérants de paraboles collectives proposaient tous les soirs, en branchant un lecteur DVD, des nouveautés aux abonnés qui en redemandent. « Pourtant avec la télévision, le travail aurait été plus commode », explique Louz, parlant de l'expérience dans laquelle il est intégré qui se débrouille comme elle peut pour trouver les costumes, les décors, les lieux de tournage, etc. Un espoir subsiste avec la possibilité que, dès l'année prochaine, un temps d'antenne sera donné à la station régionale ENTV d'Oran