Un jugement qui semble dur ou injuste envers les gens de la profession. Pour s'en convaincre, faites le tour des librairies d'Alger à la recherche d'un titre précis et constatez de vous-même.« Cherchez-le au premier étage ! », « Demandez à la vendeuse de vous aider ! » ou alors « Je n'en ai jamais entendu parler ! »... Telles sont, entre autres, les réponses que l'on reçoit en plein visage lorsqu'on demande un ouvrage. « La profession de libraire ne se résume pas au simple fait de vendre des livres », indique Mohamed, un quinquagénaire tenant une grande libraire à la rue Bab Azzoun pas loin de la place des Martyrs. Entre un « libraire » qui affiche à sa vitrine « cherche vendeuse », un autre qui ne distingue pas l'importateur de l'éditeur et un troisième qui n'a pas la moindre idée des livres récemment publiés, la profession se perd et le client aussi. Absence d'une formation solide La disposition comme la classification ne s'apprennent pas à l'école et encore moins à l'université, à l'exception de ceux qui suivent une formation universitaire de bibliothécaire qui est une profession bien différente de celle de libraire. « Le bibliothécaire ne se préoccupe que de l'acquisition, la maintenance et la richesse du fonds ainsi que de la bonne classification des ouvrages », explique Mohamed un enseignant chercheur à l'Université d'Alger 2. Il ajoute : « Comme tout ouvrage mal classé est un ouvrage perdu, le bibliothécaire ne doit rien laisser au hasard, or le libraire, lui, gère non seulement un fonds plus simple mais suit une classification plus simple qui prend en considération le genre plus que le contenu ». Mohamed affirme aussi que « c'est l'absence de formation et d'encadrement qui fait que le libraire algérien devient un simple marchand de livres ». Beaucoup de jeunes libraires, notamment des jeunes filles, pensent que la profession s'apprend avec la clientèle. « Au début je n'avais aucune idée de la manière dont je devais classer les livres, avant j'avais travaillé comme vendeuse dans un magasin de chaussures et aussi dans un centre d'appel », avoue Romeïla. En l'absence du « patron » ou du « proprio » comme l'appelle son équipe, le libraire algérien « tient un commerce » comme dirait Batoul, caissière dans une petite librairie à Mohamadia. Alors que la profession de libraire n'est pas seulement un commerce. Le libraire doit être imprégné du monde de la lecture, des nouveautés... A la sortie, une des clientes va jusqu'à dire que « ces jeunes sont bien aimables mais je crains qu'ils ne soient pas faits pour ce métier, je ne comprends pas qu'un libraire n'ait pas en tête les titres disponibles ni une quelconque carte de la disposition des ouvrages, j'ai dû chercher une bonne demi-heure pour trouver enfin le livre que je suis venue chercher ». Cela va sans dire que maîtriser l'abc d'une profession requiert une formation de courte ou de longue durée. M. Saoudi, libraire chez Chihab International, explique qu'« un libraire doit avoir une idée précise de ce qu'est la chaîne du livre. Il est aussi nécessaire de savoir parler aux clients et d'avoir quelques notions en marketing ». Selon lui, un libraire quelle que soit l'importance de son commerce ne s'intéresse pas seulement au bénéfice et à la vente, mais aussi à l'animation culturelle. « Une librairie qui n'organise pas de ventes dédicacées, de rencontres et de débats littéraires est une librairie morte, elle sera amenée à disparaître sans que le voisinage s'en aperçoive », dit-il. Chihab, entre autres maisons d'éditions détenant des librairies, propose une formation continue à ses employés. « Bien que j'ai longtemps cherché une formation de libraire en Algérie, histoire d'améliorer mon niveau, je n'ai reçu que celle organisée par mon employeur qui s'est déroulée en France », dira un employé d'une librairie. Le client se plaint... le libraire aussi « Une fois à la retraite, j'occupe mon temps à regarder des émissions littéraires. Le problème, c'est que je trouve rarement les titres que je cherche après avoir lu une critique sur Internet ou avoir vu l'auteur en faire la promotion à la télévision », raconte Mme Zohra, tout en fouillant dans les rayonnages d'une librairie au centre de la capitale. Comme elle, nombreux sont ceux qui entrent et sortent les mains vides des librairies, l'un d'eux se plaint de ne trouver « aucune publication nouvelle, seules les rééditions des classiques français ou encore d'anciens livres d'histoire occupent les rayonnages ». Dans un grand espace dédié à la vente de livres neufs et d'occasion. « Les livres de cuisine et de jardinage marchent bien en ce moment, on voit rarement les jeunes gens s'intéresser à des essais philosophiques ou à des romans contemporains », nous dit un libraire. De l'autre côté du comptoir, le libraire se tient derrière la caisse — ce petit trésor pour lequel tout commerce est ouvert — il observe les clients entrer et sortir se plaignant de la cherté des livres. Sans aucune passion pour cet objet aux deux richesses, on parle alors de la librairie comme espace de vente. « Je consacre un grand espace au livres de cuisine, ils se vendent comme des petits pains. Ceux qui habitent en milieu semi-rural s'intéressent de plus en plus au jardinage, alors on essaie de répondre à la demande », dit il. Derrière les collections d'art culinaire s'alignent les ouvrages universitaires ; gestion, management, marketing, droit, médecine ou informatique, et le choix n'est pas venu du simple hasard. « Les jeunes d'aujourd'hui ne rentrent pas dans une librairie pour la découverte ou la curiosité, ils viennent pour améliorer une note. Seule la lecture utile les intéresse et on ne peut guère leur en vouloir », explique un jeune libraire. Un parmi les rares de son âge qui s'intéresse à la profession de libraire, tient dans sa main un roman qu'il lit attentivement et envoie les clients perdus vers la jeune fille qui s'occupe de la disposition des livres.