Le directeur de l'Institut national de la criminologie et de la criminalistique (INCC) de la Gendarmerie nationale, le colonel Sid-Ahmed Bouramana, explique dans cet entretien les raisons de la difficulté d'identification des victimes du crash de l'avion affrété par Air Algérie, au Mali. Pour lui, l'objectif de cette opération reste l'identification des victimes pour des raisons légales (certificat de décès) mais surtout affectives, à savoir permettre aux familles de faire leur deuil. Plus d'une semaine après le crash, aucun corps n'a été identifié. Quelles sont les raisons réelles de cette situation ? Justement, il faut savoir qu'il s'agit d'une situation un peu spéciale : un crash d'avion qui a causé la mort de 116 passagers dont aucun corps n'a été retrouvé. La scène de l'accident est toujours en cours d'exploitation. Il faut savoir que dans pareille situation, les corps peuvent se trouver calcinés, déchiquetés et dans un état de dégradation très avancée. Les restes cadavériques doivent être prélevés, stockés à moins de 20° C et acheminés pour l'établissement des profils génétiques. Dans des conditions climatiques pareilles, l'obtention du profil génétique sera conditionné par la nature du prélèvement, à savoir un muscle, une dent ou un os et le degré de la dégradation de l'ADN, d'où la nécessité de beaucoup de temps. Justement, la question qui se pose aujourd'hui est la durée de l'identification des victimes... La durée pour l'obtention d'un profil génétique varie d'un prélèvement à un autre. Pour les muscles, elle est estimée à une semaine, alors que pour les dents et les ossements, elle peut aller jusqu'à quinze jours. Une fois les profils établis, ils seront stockés au niveau de la base des données des empreintes génétiques pour faire le rapprochement et l'identification des restes cadavériques de chaque victime. D'autre part et pour l'identification des restes cadavériques, l'obtention des profils génétiques ou des prélèvements de référence des familles des victimes sera difficile vu qu'il s'agit de familles de différentes nationalités et de plusieurs pays. On parle de « corps complètement calcinés » et de conditions climatiques et géographiques difficiles. Les experts algériens et étrangers arriveront-ils à identifier les victimes ? Dans le cas des cadavres calcinés, la mission est complexe. Il faut savoir aussi que la durée de l'acheminement d'un corps ne doit pas dépasser 48 heures, sinon on sera obligé de conserver les prélèvements à moins de 20° C. Or, la température sur le site du crash était de 45° C en plus de l'inexistence de moyens de stockage, ce qui exige le recours aux analyses ADN des prélèvements. Donc il y a des risques... Oui, il y a le risque de la dégradation de la molécule ADN et aussi la contamination, c'est-à-dire le mélange des profils, d'où la complexité de l'opération d'identification. Plusieurs experts sont sur le site du crash, dont des gendarmes et des policiers algériens. Comment est réparti leur travail ? Nous travaillons suivant le protocole d'Interpol. Les services de sécurité se sont constitués en deux groupes : le groupe post-mortem, composé de spécialistes, à savoir des médecins légistes, des spécialistes en odontologie, en empreintes digitales et empreintes biologiques. Le deuxième groupe ante-mortem est chargé de récupérer les empreintes digitales de référence, référence de dent sur la base d'une brosse à dent ou base de données chez le dentiste traitant par exemple. Cela dit, le protocole d'Interpol est appliqué selon la spécificité de chaque pays. On parle de la collecte de 1.200 restes cadavériques. Quel sera le mécanisme d'identification adopté ? On passe à l'ADN. Il faut d'abord avoir 116 entités, sachant que le nombre des victimes est de 116 passagers, c'est-à-dire 116 profils ADN et 116 profils de référence. Dans cette situation, on a 1.200 restes cadavériques, ce qui nécessite 1.200 profils ADN. Comme je viens de le souligner, un profil sur un muscle peut durer 8 jours, sur une dent, cela nécessite 15 jours minimum et un os, une durée de deux semaines minimum. C'est là, la première étape. Combien de cas peuvent être identifiés par les experts ? On peut analyser 100 profils par semaine, selon l'état et l'obtention du profil. On ne peut pas se prononcer sur l'identification qu'après une expertise générale, c'est-à-dire on ne va pas procéder à l'annonce d'identification individuelle mais lorsque l'opération sera clôturée. Toutefois, on peut ne pas arriver à 116 profils, c'est l'un des risques dus essentiellement à ceux signalés plus haut. L'identification nécessite le transfert des restes vers un centre spécialisé d'expertise. L'INCC étant une référence au niveau de l'Afrique, prendra-t-il en charge l'analyse de quelques prélèvements ? Je tiens à préciser ici que l'analyse doit se faire dans un seul centre d'expertise d'identification. Peu importe le pays où elle s'effectuera, l'essentiel et le plus important, c'est l'identification des victimes qui est notre objectif majeur. Je précise aussi que les experts de l'INCC travaillent au même niveau que les experts français et avec les mêmes normes internationales et on utilise les mêmes techniques, là, il ne s'agit pas d'une question de compétence. Mais les experts de la GN n'ont rejoint le site qu'après une semaine du crash ? L'unité de la Gendarmerie nationale de l'identification des victimes des catastrophes (UGNIVC) a été mise en alerte, jeudi, à 8h30, soit la matinée du crash. Une équipe de 8 experts a été dépêchée, jeudi dernier. Nos experts sont toujours sur le site et ont entamé leur travail. Une autre équipe est en alerte aussi en cas de nécessité. Avez-vous procédé à des analyses ADN des familles des six victimes algériennes ? C'est sur réquisition du procureur général que les proches des victimes seront soumis à des analyses ADN pour rapprochement. Ils l'ont déjà été par les analystes de la police, cette mesure va confirmer les résultats obtenus et l'établissement formel de l'identité des victimes de la catastrophe. N. B. Bio express Le colonel Sid-Ahmed Bouramana a été désigné directeur de l'INCC de la GN de Bouchaoui, en juillet dernier. Il avait occupé le poste de directeur de département de la criminalistique au sein du même institut. Il est expert dans la spécialité Forensic Visualisation suite à une formation à l'étranger.