Oubliée de la scène littéraire et des médias, Yamina Mechakra a, pourtant, été, et le reste à ce jour et pour l'éternité l'une des femmes de lettres qui ont marqué la culture algérienne dans sa plus profonde et authentique expression. Y'amina Mechakra est, pratiquement, reconnaît-on, la version féminine de Kateb Yacine lequel, en préfaçant son premier et majeur roman « La Grotte Eclatée » (1979, Sned), récemment réédité aux Editions Enag, évoquait une femme valant « son pesant de poudre ». Parce que désabusée et effacée, deux décennies durant, des cénacles éditoriaux, n'ayant fait l'objet d'aucune biographie réservée, à ce propos, aux grands écrivains, l'auteur d' « Arris » (Algérie Littérature Actions, 1999), son second et dernier roman, a été, samedi dernier, au cœur d'une conférence-débat, animée à Alger, par le journaliste romancier, Rachid Mokhtari, à l'occasion de la sortie, aux éditions Chihab, d'un précieux essai, « Yamina Mechakra, entretiens et lectures » totalement consacré à la « grande psychiatre du petit peuple ». Il s'agit d'un véritable travail d'investigation que notre confrère a effectué auprès de la romancière, officiant, alors, à l'hôpital psychiatrique Drid Hocine, à Alger. A l'aide de son ancien magnéto, l'auteur de « La Chanson de l'Exil » tenait à faire découvrir au grand public, mais aussi aux initiés, ce qu'était cette femme qui a révolutionné l'écrit littéraire algérien. Tirer des propos à cette dame n'était pas une mince affaire, y compris pour un journaliste rompu à l'art des interviews qu'est Rachid Mokhtari. « Je tenais coûte que coûte à la faire sortir de son silence après la parution d'Arris. Elle refusait de se livrer aux médias et boudait les ventes dédicaces. A défaut d'entretiens journalistiques, pas du tout faciles à réaliser devant une personne d'une telle envergure, je m'étais contenté d'enregistrer les discussions et les échanges que nous animions autour de plusieurs sujets tels que l'histoire de l'Algérie, Kateb Yacine, son enfance à Meskiana » explique-t-il, précisant qu'il s'agit d'entretiens ayant fait l'objet d'un travail de tri et de découpage rigoureux. Par souci pédagogique, il présente le livre en deux parties : l'une en publiant intégralement les entretiens, l'autre en la présentant sous forme d'analyses et d'observations. M. Mokhtari ne fait pas mystère de la particularité littéraire de la romancière à laquelle il reconnaît un style rarissime : « la brièveté esthétique ». « En 20 ans, Yamina Mechakra n'a publié que deux romans et quelques contes et récits parus à El Moudjahid au milieu des années 80. En optant pour cette distanciation, elle entendait éviter les redondances et les digressions dont sont habitués les auteurs prolifiques. C'est une auteure qui se base sur l'instantané » soutient-il en soulignant que l'écriture « mechakréenne » est de nature clinique, voire névrotique. Plutôt proche, dans sa conception littéraire, de Tahar Djaout que d'Assia Djebbar, la psychiatre-romancière, parce que viscéralement éprise de poésie, tient son génie littéraire de trois traumatismes vécus du bas de son enfance jusqu'à l'automne de sa vie : la répression coloniale contre sa propre famille (son père fut emprisonné durant la guerre de Libération nationale), les jeunes femmes mères et leurs enfants « illégitimes » et, enfin, les enfants victimes du terrorisme, qui ont été la force nourricière de sa littérature d'une insoutenable déchirure. Autre détails que le commun des mortels ignore de cette exceptionnelle femme de lettres : sa passion pour la peinture qu'elle exerçait mais de façon saccadée, d'où son amitié avec le grand peintre, M'hamed Isskiakhem, qui a illustré « La Grotte Eclatée » et Cherif Merzouki, le portraitiste des Aurès.