Le fait peut paraître inédit. Hier, la place Taksim a réussi le tour de force de rallier les partisans de l'AKP (Parti de la justice et du développement) et l'opposition démocratique en convergence remarquée depuis le coup d'Etat avorté du 15 juillet jugé « inacceptable » par le président du Parti du mouvement national (MHP) et rejeté par le Parti démocratique des peuples (HDP, prokurde) qui s'est déclaré opposé à « toutes sortes de coup d'Etat, quelles que soient les circonstances ». Les trois partis représentés au Parlement ont unanimement dénoncé le putsch raté. A l'initiative du Parti républicain du peuple (CHP), Taksim entérine le rapprochement perceptible entre l'AKP (Parti de la justice et du développement) et l'opposition, présents pour la première fois ensemble dans un grand rassemblement populaire. Alors que la mythique place symbolisait il y a peu les luttes démocratiques durement réprimées par l'allié islamiste au pouvoir, elle s'impose désormais en levier de contrôle sans partage des institutions qui ont connu une purge massive déclenchée dans l'armée, la justice, l'enseignement et les médias. Il est attendu, lors de cette manifestation commune, un afflux considérable particulièrement généré par la gratuité des transports prolongé jusqu'à hier. Elle profite inévitablement à la dynamique de mobilisation décrétée le 16 juillet et suivie par les partisans de l'AKP massés, tous les soirs, dans les rues des principales villes turques et de Taksim qui a changé de main. A l'heure de l'état d'urgence, régi par un comité de coordination présidé par le Premier ministre Binali Yildirim, le grand rassemblement est dédié à la démocratie. « C'est une rencontre organisée par notre parti, à notre appel, mais l'ensemble de nos concitoyens est invité (...). Il ne doit y avoir que des drapeaux turcs et des portraits d'Atatürk au rassemblement. Il ne doit même pas y avoir des drapeaux du CHP, qui l'a organisé », a lancé le vice-président du CHP, Tekin Bingöl. Mais l'union sacrée turque résiste mal au déluge de critiques qui pleuvent sur le président Erdogan décidé à éradiquer le « virus », en dépit des mises en garde de la communauté internationale. Une mise à mort est engagée contre les partisans de Fethullah Gülen assimilés aux « animaux » par le ministre de l'Agriculture, Faruk Celik. Dans cette Turquie divisée et affaiblie, la chasse aux gulénistes a laissé des traces : dissolution de 2.000 institutions, fermeture de plus de 1.000 établissements d'enseignement et de 15 universités, plus de 1.200 associations ou fondations et 19 syndicats. La garde présidentielle qui « n'a pas sa raison d'être », selon le Premier ministre, a été également dissoute. Quelque 283 de ses 2.500 membres ont été arrêtés. Et même si l'élargissement de 1.200 militaires a apporté une note rassurante dans la Turquie de l'Etat d'urgence, portant de 4 à 30 jours la durée des gardes à vue impliquant 13.000 personnes, la purge cible les partisans de Fethullah Gülen dont le « bras droit », Hails Hanci, et le neveu, ont été arrêtés. Où s'arrêtera donc ce terrible engrenage ?