Pêcherie d'Alger. 5h du matin. ça grouille déjà de monde. Les marins-pêcheurs venaient de regagner la terre ferme et le butin est frais. Raïs Hmed, un mareyeur rencontré sur les lieux, nous fera part de ce qui fait sa joie. « La pêche a été bonne », dira-t-il, sourire en coin. Lui et ses pairs ont embarqué vendredi, à 18h, pour débarquer le lendemain. Selon notre interlocuteur matinal, la technique de pêche, le poisson et l'endroit diffèrent d'un pêcheur à un autre. Mais le prix est fixé par un mandataire qui est en lien direct avec le marché du poisson. Ce dernier reste sous la pression de la demande. Et soumis aux spéculations des mandataires qui travaillent directement avec les pêcheurs. « Le prix du poisson est fixé aux enchères par un mandataire dès que le produit de notre pêche est sur le port », nous a indiqué raïs Hmed, qui venait tout juste de mettre le pied sur le quai. La vente commence. Les premiers vendeurs étalent les quelques poissons bleus qu'ils ont acquis auprès d'un mandataire. Selon un poissonnier rencontré sur place, le marché demeure sous l'emprise de ces intermédiaires qui sont en relation directe avec la production. « Les mandataires restent les maîtres du marché, ils savent bien qu'il y a une forte demande et s'emparent donc de toutes les quantités pêchées », indique-t-il. Ajoutant qu'une caisse de crevettes de 25 kg s'est vendue ce matin à 24.000 DA. La flambée des prix du poisson est essentiellement due à la multiplication des intermédiaires. Ainsi, le produit passe par quatre à cinq revendeurs. Chez Salah, vendeur de poisson à la Pêcherie, le poisson est nettement moins cher. « La crevette est cédée à 1.500 DA le kilogramme alors que l'année dernière, durant la même période, elle affichait 2.000 DA le kilogramme », indique le marchand. Hier, à la pêcherie du port d'Alger, le rouget de roche s'est vendu au détail à 1.200 DA le kilogramme, le merlan à 1.000 DA, le calamar à 600 DA et la sépia à 400 DA. Ces prix, selon le poissonnier, font fuir de nombreux clients. Toutefois, selon un pêcheur de l'équipage de Raïs Hmed, certains poissonniers trichent sur les espèces de poissons vendus. Le faux merlan est vendu comme étant le vrai, idem pour le calamar. Par ailleurs, l'abondance de la glace permet aussi aux revendeurs de détail de garder la sardine fraîche jusqu'au soir sans baisser son prix. Le marin-pêcheur, quant à lui, en profite beaucoup moins que l'armateur qui prend 45% de la recette. La vie dure d'un pêcheur Le marin-pêcheur a l'épée de Damoclès sur la tête. « Nous travaillons au péril de notre vie. Et de façon aléatoire, car l'activité est tributaire de la météo et du rythme de passage de différentes espèces de poisson », nous indique Kouider, un pêcheur croisé à la Pêcherie, véritable plaque tournante du marché du poisson. Rester bloqué au mois d'août avec un raïs qui ne pêche que la sardine n'est pas très rentable, surtout qu'une caisse de sardines ne coûte que 800 DA. Et qu'il ne rentre au port qu'avec quelques caisses par nuit. Ne pas pouvoir changer de bateau pour un autre qui pêche d'autres poissons à plus forte valeur commerciale est révoltant pour notre interlocuteur. « Cette liberté de changer de bateau est réservée à une élite de marins-pêcheurs. Il faut être l'un de ces anciens dont la seule présence sur un bateau honore le raïs », nous indiquera raïs Hmed. « Un contrat de travail lie le marin à l'armateur. Se conformer à ce contrat ne colle pas à la tradition des marins-pêcheurs », dira Kouider. Le pêcheur devrait pouvoir, selon lui, changer de bateau et de raïs chaque jour. Et cela doit marcher dans les deux sens. « Mais ces dernières années, le marin trime toute l'année surtout les nuits d'hiver, sans pouvoir se déplacer à sa guise pour multiplier ses ristournes », a ajouté notre interlocuteur qui en a, visiblement, gros sur le cœur. Aux problèmes d'embarquement des marins-pêcheurs et le fait de ne pouvoir choisir le poisson à pêcher en compagnie d'un raïs de renommée, s'ajoutent les désagréments liés au matériel et au carburant. « Le mazout à 18,76 DA le litre ne permet pas d'aller chercher le poisson au loin. Il faudrait que ce combustible soit subventionné à hauteur de 50% », estime raïs Hmed. Il ajoutera que la peur de la casse ou de la perte des filets de pêche, qui coûtent très chers, ajoute au souci journalier des professionnels. Une coupe de filet est à 53.000 DA, et chaque filet nécessite 9 à 16 coupes selon sa taille. Selon lui, le projet de relance de la pêche avec de grands bateaux est « plein d'injustice ». Des armateurs ont même bénéficié de subventions de 20% et 40%. « Qu'en est-il pour les autres chalutiers », s'exclame raïs Hmed. Il y a aussi les lois qui exigent la présence de deux marins-pêcheurs sur les petites barques palangriers pour des raisons de sécurité. Avec un seul marin, il est interdit de sortir en mer. Le monde de la pêche, comme la mer, a décidément ses secrets.