Nous sommes au printemps 1800. Il fait un temps radieux et le palais des Tuileries brille de tous ses ors, lorsque le général Rapp, aide de camp du Premier consul Napoléon Bonaparte, accueille un visiteur peu ordinaire. Par son physique, d'abord. Il est de ceux qu'on n'oublie pas, même si on ne les a vus qu'une fois. Il est incroyablement trapu, avec un visage énorme, un cou très court et très large, des épaules de colosse et un tronc en proportion, posé sur de petites jambes. Il aurait quelque chose d'animal, si ses petits yeux gris ne trahissaient une vive intelligence. Mais sa personnalité et l'action qu'il a menée durant les années de bouleversements qui viennent de s'écouler ne sont pas moins exceptionnelles. C'est, en effet, l'adversaire le plus acharné de la Révolution ; il a pris les armes contre elle dès le début et il est le dernier à les avoir déposées. Alors que les autres chefs chouans ont accepté l'amnistie que proposait Bonaparte, lui seul ne s'est pas soumis. Il s'appelle Georges Cadoudal et il a reçu un surnom qui résume toute sa personne, tant au physique qu'au moral : «l'hercule de la contre-Révolution». Georges Cadoudal n'a alors pas trente ans, puisqu'il est né le 1er janvier 1771, à Kerléano-en-Brech, près d'Auray, dans le Morbihan. En breton, son nom signifie «guerrier retournant au combat», ce qui ne pouvait mieux tomber vu la suite de son existence. Il est le fils de Louis Cadoudal, cultivateur, et de Marie-Jeanne Le Bayon, mais il ne se destine pas au travail de la terre. Après de brillantes études au collège Saint-Yves de Vannes, il devient clerc de notaire, non sans avoir hésité entre la marine et les ordres. Elevé dans la piété religieuse et la fidélité au roi, il est totalement hostile aux idées nouvelles. En février 1793, un mois après l'exécution dç Louis XVI, lorsque la Convention décrète la levée de trois cent mille hommes pour faire la guerre contre l'Europe coalisée, Georges Cadoudal, comme la plupart des gens de l'Ouest, refuse l'enrôlement et prend les armes. Il fait partie de l'armée de Stofflet où il se fait remarquer, tant par sa force que par sa culture et son intelligence tactique. Après la défaite des armées vendéennes à Savenay, fin 1793, il parvient à s'échapper et se réfugie dans le Morbihan où il organise la résistance. Arrêté et emprisonné à Brest, il s'évade et reste dans la clandestinité. Pendant des années, il mène une vie errante, jouant à cache-cache avec les armées républicaines et, après bien des péripéties, il tient un rôle de premier plan dans le débarquement de Quiberon. Le 26 juin 1795, quatre mille émigrés, soutenus par les Anglais, débarquent en baie de Carnac. A la tête de quatorze mille Chouans, Cadoudal fait sa jonction avec eux, mais l'opération est un échec. Les troupes royalistes se heurtent, devant Vannes, au général Hoche. Repoussées, elles doivent se replier dans la presqu'île de Quiberon où elles se retrouvent assiégées. Elles capitulent le 21 juillet et sept cent quarante-huit hommes sont fusillés. Encore une fois, Cadoudal fait partie de ceux qui parviennent à s'échapper. Pour lui, la clandestinité continue. Peu à peu, tous les Chouans se font prendre ou se rendent. Lors de l'avènement du second Directoire, en septembre 1797, il est le dernier responsable royaliste en Bretagne et, l'année suivante, Louis XVIII, qui est en exil, lui confie officiellement le commandement de la province. Activement recherché par les républicains, il leur échappe grâce à des cachettes introuvables, dont certaines portent son nom encore aujourd'hui, comme la «cache Cadoudal», au bord de la rivière Etel, faite de souterrains à moitié immergés et dissimulés entre deux talus, où peuvent se réfugier des dizaines de personnes. (à suivre...)