Retour n Shakespeare est revenu, cette semaine, sur les planches d'un théâtre afghan, pour la première fois depuis 25 ans, grâce à une série de représentations à Kaboul de Peines d'amour perdues, en persan. C?est sous la direction d'une Française, la comédienne et metteuse en scène Corinne Jaber, que la première de la pièce s'est jouée, mercredi dernier, dans les jardins de la Fondation pour la société civile, une ONG kaboulie, devant plus de 200 Afghans dont la plupart n'avaient jamais vu une pièce de théâtre de leur vie, et encore moins des hommes et des femmes ensemble sur scène. «C'est la première fois de ma vie que je vois quelque chose comme cela, et j'ai vraiment aimé. Surtout quand les garçons ont fait les danses indiennes», glisse Rafi Aria, une chanteuse de 24 ans qui se produit régulièrement à la télévision afghane et dans les mariages. Pour séduire son auditoire, Corinne Jaber a réaménagé la pièce de Shakespeare aux couleurs afghanes et indiennes. L'intrigue ? qui met en scène un jeune prince et trois de ses courtisans qui s'engagent à tirer un trait sur l'amour pendant trois ans pour se consacrer à leurs études, sont immédiatement mis à l'épreuve par l'arrivée au château d'une belle princesse et de trois de ses courtisanes ? se décline ainsi entre deux chansons «bollywoodiennes» acidulées. Sous les pommiers du jardin kabouli, le roi Ferdinand de Navarre est désormais le roi Haroun de Kaboul, et sa dulcinée n'est plus princesse de France mais d'Hérat, la grande ville de l'Ouest afghan. Au bord de la scène, Corinne Jaber explique qu'au cours des six semaines de répétition, dont la dernière devait se jouer ce lundi, l'un de ses plus grands défis a été d'imaginer la mise en scène des rapports entre hommes et femmes dans un contexte culturel très conservateur. «C'est difficile de mettre hommes et femmes ensemble sur scène sans en rajouter ou provoquer un peu. Mais je pense que ça a marché», a-t-elle déclaré à l'issue d'une représentation saluée par un flot d'applaudissements nourris. Dans ce cadre, l'utilisation de chorégraphies burlesques et de chansons tirées de films indiens, très populaires chez les Afghans, semble avoir joué un rôle décisif dans ce premier succès public. A la fin de la pièce, le prince et ses courtisans, conduits par l'amour à rompre leur engagement, se retrouvent éconduits par des femmes maîtresses du jeu qui leur demandent d'attendre, prouvant que leur amour est plus qu'un engouement. Ce qui aurait été un sombre moment dans une enceinte occidentale déclenche des rires en cascades au sein du public afghan, qui arrive sans trop de mal à relativiser ces aléas de l'amour occidental.