Souffrance n La violence exercée à l?encontre des enfants serait, selon les témoignages de nombreux délinquants mineurs, à l?origine de leur dérive. Elle est gracile, filiforme, âgée d?à peine 14 ans. Nesrine T. est une habituée des centres de rééducation. Elle nous raconte sa vie avec indifférence et même désinvolture. «Ses parents l?ont jetée dans la vie d?un coup de pied.» Cette phrase de Victor Hugo résume parfaitement l?histoire de Nesrine. Il n?y a pas que les coups, les gifles, les raclées, il lui arrive aussi d?être attachée avec des chaînes en fer pendant toute une semaine. Des faits confirmés par sa mère Khoukha B. : «Je n?avais pas d?autre choix. Elle n?arrêtait pas de fuguer et comme je ne pouvais pas la surveiller à longueur de journée à cause de mon travail, je n?avais de solution que de l?attacher.» En présence d?un tel tableau, cet enfant apparaît comme étrangère au projet de vie de cette famille, parasite, ennuyeuse, hostile même. Le poids de ces mauvais traitements qui lui sont infligés aussi bien par sa mère que par son frère aîné, a poussé cette jeune mineure à fuguer et vivre depuis des années dans la rue jusqu?au mois de janvier dernier où elle a été arrêtée pour séquestration de bébé, vol et incitation à la débauche. «L?idée de quitter le domicile familial pour ne plus revenir, je l?avais depuis plusieurs années. Ainsi, après avoir cassé le verrou de la porte extérieure, j?ai profité de l?absence des membres de la famille pour voler une radiocassette et je suis partie. Je me suis dirigée vers le bidonville appelé Cantabet, à Bouzaréah, où j?ai passé la nuit toute seule, dans une construction inachevée. Le lendemain, j?ai passé la journée à déambuler dans les rues d?Alger après avoir vendu le poste cassette au marché de Bab El-Oued à 500 DA. Et depuis, je n?ai plus mis les pieds à la maison.» Pour vivre, Nesrine a appris le vol à la sauvette et la prostitution, bien qu?elle n?admette pas ce terme de «prostitution». Pour elle, il ne s?agit ni plus ni moins que d?une vie en ménage, histoire de se protéger. Notons que les parents de Nesrine sont séparés depuis plusieurs années. Le père est âgé de 67 ans et sans emploi, alors que la mère, d?origine tunisienne, travaille comme gardienne dans une école primaire, dans la région de Aïn Taya. Habituellement, l?adolescente passe les froides nuits d?hiver avec une autre jeune fille, Liza la Blidéenne, qui, elle aussi, vit dans la rue depuis 2002. Cette dernière vient de mettre au monde une fille, après avoir été violée par un de ses compagnons. «J?ai suggéré à Nesrine de m?accompagner pour aller faire quelques courses pour ma fille, celle-ci refusa et me proposa, en revanche, de prendre soin de ma fille jusqu?à mon retour. Je ne pensais pas qu?elle pût commettre un tel acte. Elle a pris ma fille, son carnet de vaccination et a disparu», raconte Liza à la brigade de protection des enfants et de lutte contre la délinquance juvénile. Nesrine a, en effet, volé l?enfant et s?est rendue chez sa mère, qu?elle a convaincue qu?il s?agissait bel et bien de sa propre fille...